Washington – 5 juin 2025. Par un arrêt unanime, la Cour suprême des États-Unis a jugé irrecevable la plainte déposée en 2021 par le gouvernement mexicain contre plusieurs fabricants d’armes américains, parmi lesquels Smith & Wesson, Glock et Beretta. Une décision qui, au-delà du revers diplomatique pour le Mexique, laisse dans l’ombre une autre tragédie régionale : celle d’Haïti, noyé sous les balles venues du Nord.
Le bouclier juridique américain : la PLCAA
À l’origine du rejet, une loi fédérale peu connue du grand public mais puissante dans ses effets : le Protection of Lawful Commerce in Arms Act (PLCAA), promulgué en 2005. Elle protège les fabricants d’armes de toute responsabilité juridique liée à l’usage criminel de leurs produits, sauf en cas de preuve d’assistance directe au crime. La Cour, présidée par la juge Elena Kagan, a considéré que le Mexique n’avait pas démontré une telle complicité de la part des entreprises visées. Le dossier, selon les juges, reposait sur des allégations trop générales.
Les griefs mexicains balayés
Le Mexique accusait ces industriels de faciliter, par négligence ou stratégie marketing, le trafic d’armes vers les cartels. Parmi les accusations : la vente à des straw purchasers (acheteurs de paille) et la mise sur le marché de modèles au design militaire délibérément attractifs pour les groupes armés. Des arguments insuffisants pour franchir la barrière de la PLCAA.
Malgré ce revers, la présidente Claudia Sheinbaum a promis de poursuivre les recours, notamment via une autre plainte en Arizona et une saisine de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
Haïti : le front oublié de la crise des armes
Alors que les regards étaient braqués sur le Mexique, une autre nation caribéenne vit une hémorragie bien plus grave : Haïti. Des chiffres glaçants émergent des rapports des Nations Unies et d’organisations régionales. Environ 80 % des armes saisies dans le pays seraient d’origine américaine. La plupart transitent par la Floride — notamment via des achats fictifs — et arrivent soit par la République dominicaine, soit directement par mer.
L’ONU parle d’une véritable « rivière de fer » : un flot constant d’armes automatiques, de fusils d’assaut et de munitions qui alimente la guerre des gangs.
Conséquences : une nation sous siège
Haïti compterait près de 500 000 armes à feu en circulation, dont moins de 40 000 légales. Ce déséquilibre laisse une police nationale sous-équipée et débordée, incapable de faire face à des groupes armés qui disposent parfois de snipers .50, de grenades et d’AK-47.
Les effets sont dévastateurs : assassinats de civils, kidnappings massifs, violences sexuelles, attaques contre les hôpitaux et les écoles, effondrement du ravitaillement alimentaire… Plus de 1.5 millions de personnes sont des déplacés internes selon le dernier rapport de l’OIM.
Une jurisprudence verrouillée, des frontières ouvertes
Le jugement de la Cour suprême des États-Unis ferme une porte importante pour les pays victimes du commerce illégal d’armes, renforçant l’idée que les fabricants américains bénéficient d’un « bouclier légal » quasi-imperméable. Pourtant, les conséquences sont régionales. La République dominicaine intercepte régulièrement des cargaisons en provenance de Miami, souvent dissimulées dans des véhicules ou des conteneurs banalisés.
Et Haïti dans tout ça ?
À ce jour, aucune action en justice n’a été intentée par Haïti contre les fabricants d’armes ou les autorités américaines. Aucun amicus brief, aucune demande officielle de soutien international. Un silence qui tranche avec l’ampleur du drame vécu sur le terrain.
Les analystes estiment qu’en l’absence d’une stratégie diplomatique forte, les pays victimes devront durcir leur propre législation. Mais comment y parvenir lorsque l’État est sous-financé, assiégé, parfois infiltré par les intérêts des groupes armés eux-mêmes ? Et surtout, à quel prix ?
La rédaction
Sources multiples