Alors que Luis Abinader, Leonel Fernández, Hipólito Mejía et Danilo Medina – président en exercice et anciens chefs d’État – se réunissaient avant-hier pour définir une politique « commune » du pays face à la crise haïtienne, j’observais avec attention une vidéo en ligne relatant et analysant une rencontre entre un général français arrogant et le président du Burkina Faso.
Dans les deux réunions, le thème central était la souveraineté nationale menacée.
En voyant les résultats des deux rencontres, je n’ai eu d’autre choix que de m’émouvoir devant la grandeur morale, le patriotisme et le courage du dirigeant burkinabé, tandis que je devais me rendre à l’évidence de la lâcheté, de la mesquinerie et de la soumission aux intérêts personnels, familiaux ou de clans de Danilo et Leonel.
Abinader et ses invités
Ce qui s’est passé mercredi au siège du ministère de la Défense n’a pas été le début de la définition d’une politique de souveraineté nationale face à la crise haïtienne.
Non ! Il s’est agi d’un conciliabule réunissant trois anciens présidents et le président en exercice pour soutenir les actions de terre brûlée que mène le gouvernement contre les travailleurs immigrés haïtiens – sans papiers – qui, depuis des années, soutiennent des secteurs productifs essentiels de la République dominicaine dans des conditions salariales misérables, sans sécurité sociale, et victimes d’un racket policier et militaire sans précédent.
Quand Abinader a convoqué les anciens présidents à ce sommet, des milliers d’ouvriers, leurs femmes et leurs enfants étaient – et sont – traqués par des militaires, policiers et agents de l’immigration pour être capturés comme des cochons marrons.
Les vidéos circulant en ligne sont plus qu’éloquentes : le vendredi 9 mai, Mme Lourdia Jean Pierre, 32 ans, mère de quatre enfants, est morte vidée de son sang après avoir accouché chez elle. Elle savait que si elle se rendait à l’hôpital de Pedro Sánchez, à sa sortie, elle serait embarquée dans un camion avec son bébé et envoyée à la frontière pour être livrée aux groupes armés qui contrôlent Haïti.
Face à une mort certaine à 300 kilomètres dans un Haïti qu’elle ne reconnaissait plus, Lourdia a choisi de mourir auprès de ses enfants et de son mari, là où elle avait vécu pendant des années sans jamais braquer une banque, sans la faire couler non plus ; sans ouvrir une loterie ni un point de drogue comme le font certains députés bien connus, sans agresser personne, simplement en travaillant et en survivant ici, face à la misère de son pays natal.
Simultanément, un agent de l’immigration a pourchassé à Baní un Haïtien en fuite pour éviter d’être arrêté, dépouillé et expulsé, mais il a été atteint d’un coup de pierre à la tête, puis roué de coups de pied, humilié de manière xénophobe et finalement enfermé en vue d’être expulsé.
Un autre homme noir, dominicain cette fois, a été jeté de sa moto à Baní, tabassé par un policier, envoyé menotté en cellule où d’autres détenus ont été incités à le lyncher, mais il a eu la vie sauve grâce à l’intervention rapide d’un de ses frères, militaire.
Ma question va directement à Danilo et Leonel :
Êtes-vous allés à un sommet avec Abinader pour cautionner tous ces abus sans même exiger l’arrêt de ces actions brutales, injustes et contraires aux droits humains ?
Êtes-vous allés poser pour les caméras et appuyer ces barbaries précisément dans les locaux de ceux qui les exécutent : soldats et policiers ?
Un véritable défenseur de la souveraineté
Le capitaine Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso, a reçu il y a quelques années dans son bureau le général de division Jean Paul Manfort, chef du Commandement des opérations spéciales de l’armée française, fort d’une longue tradition coloniale en Afrique. Celui-ci venait imposer l’interdiction des relations du pays africain avec la Russie et la Chine.
Habitué à intimider des marionnettes soumises, le général français « avertit » Traoré qu’il était dans l’intérêt du Burkina Faso de rester sous la tutelle de la France et de rejeter les offres russes et chinoises.
Le jeune officier, président du Burkina Faso depuis septembre 2022, a donné une leçon de souveraineté au général arrogant : « Ici, ce sont les Burkinabés qui commandent, et personne ne doit nous dicter avec qui nous devons entretenir des relations. Cette époque est révolue. » La réunion tendue s’est soldée par une humiliation à l’envers : Traoré a averti Monfort qu’il détenait des preuves de son soutien et de ses liens avec des groupes terroristes, qu’il remettrait à la presse internationale, et a ordonné le départ de toutes les troupes françaises du pays. Et il les a fait partir immédiatement.
Deux attitudes
Traoré a démontré que la souveraineté se défend face aux empires qui veulent imposer leur domination pour piller les richesses des pays pauvres, et non contre des gens sans défense qui cherchent simplement à travailler et à survivre.
Leonel et Danilo – sans avoir rien obtenu pour freiner l’arrogance et la chasse aux pauvres Haïtiens – semblent s’être ralliés à cette campagne bestiale d’agression contre les droits humains.
Je les comprends parfaitement : Leonel veut se rendre « portable » auprès d’un gouvernement dont le parti n’a pas encore de candidat pour 2028, Danilo veut l’impunité pour sa famille et ses complices, tandis qu’Hipólito veut qu’Abinader soutienne sa fille Carolina comme candidate du PRM.
Dans ce grand conciliabule, Abinader sort gagnant. Il sait que les Dominicains rejettent la chasse aux pauvres Haïtiens et la protection des « entrepreneurs » qui arment les bandes et vivent comme des rois ici, avec l’appui du gouvernement du PRM : Bigio, Martelly et autres magnats sanctionnés par les États-Unis, le Canada et l’ONU. Ainsi, il a déjà les anciens présidents pour porter le cercueil fétide de ses actions.
À Leonel et Danilo, je dis avec tristesse : Adieu, messieurs les souverains contre les Haïtiens, vous qui êtes restés silencieux quand Marco Rubio a emporté un avion vénézuélien d’ici sans que personne ne lui dise qu’il n’avait pas le droit de violer la souveraineté dominicaine.
Danilo et Leonel n’ont rien retenu de Joaquín Balaguer, et je le dis avec peine. Mais tous deux sont destinés à vivre à genoux face aux puissants et à se montrer arrogants envers les plus faibles.
Adieu, et à la prochaine croisée des chemins !
Felipe Ciprián, journaliste dominicain à Listin Diario
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