Pendant que le pays s’enlise dans une crise sécuritaire sans précédent, les ministres du gouvernement multiplient les déplacements, les colloques et les réunions d’urgence. Sur le terrain, l’administration publique est à l’arrêt. Aucun dossier ne progresse, aucun suivi sérieux ne peut être assuré. L’État semble absent là où il devrait être le plus visible : dans ses ministères, au service des citoyens.
La fermeture de l’aéroport international Toussaint Louverture n’a nullement freiné l’ardeur de certains ministres à voyager. Si, dans certains cas, ces déplacements peuvent se justifier, pour d’autres, ils soulèvent de sérieuses interrogations : pourquoi faire supporter aux contribuables les frais de voyages incessants de responsables qui n’assurent même pas les services de base au sein de leurs ministères ? Le contraste est flagrant : des voyages, des rencontres, des colloques, et encore des photos — souvent prises dans le plus grand hôtel de la capitale, devenu par la force des choses un centre de conventions improvisé, depuis la montée de l’insécurité. Quels en sont les résultats?
Pendant ce temps, les dossiers s’entassent sur les bureaux des ministres, qui peinent à se présenter dans leurs propres locaux. Tantôt en déplacement dans le Nord ou le Sud, tantôt coincés quelque part en attente d’un hélicoptère, leur absence freine tout.
Vous avez un dossier à faire avancer au Ministère du Commerce, aux Affaires sociales, à l’Éducation nationale ou encore aux Affaires étrangères ? Inutile d’espérer une réponse par voie administrative : consultez plutôt leur compte Facebook ou X (Twitter), et vous saurez où ils ont été « retenus ». Une photo dans un salon VIP ici, un colloque par là, une conférence dans le Sud ou dans le Nord. C’est désormais le canal le plus fiable pour suivre un ministre ou un directeur général. Il ne s’agit plus de gouverner, mais de paraître.
Ce culte de l’image supplante toute logique de service public. Les suivis administratifs – qui sont pourtant le socle du fonctionnement d’un État – sont totalement négligés. Même le paiement de factures élémentaires ne peut être honoré : électricité, eau, téléphone, presse, Internet, ou commandes chez un fournisseur… tout est en attente d’une dernière signature. Le ministre ou le directeur général n’est pas là. Il est en déplacement. Encore.
L’ironie est accablante : l’EDH ou la DINEPA coupe l’électricité dans un ministère, faute de règlement. Une compagnie téléphonique résilie un contrat pour non-paiement. L’hébergeur d’un site institutionnel suspend un domaine d’État, faute de renouvellement dans les délais. Ces incidents ne relèvent pas d’un complot, mais simplement d’un dérèglement structurel aggravé par l’absentéisme chronique des dirigeants. L’administration se désagrège dans les détails pendant que ses responsables courent d’un colloque à l’autre, multipliant les selfies sans jamais rendre de comptes.
Et pendant ce temps, les citoyens attendent. La paperasse stagne. L’État s’efface.
La machine publique est grippée au point où le citoyen ordinaire devient enquêteur, traquant les moindres indices sur les réseaux sociaux pour savoir quand un ministre sera de retour, ne serait-ce que pour signer un document bloqué depuis des semaines.
Dans cette confusion, le Premier ministre Didier Fils-Aimé, qui lui-même n’a pas encore voyagé à l’extérieur — ou du moins, aucune photo officielle ne le prouve —, devrait donner le ton. Il lui revient de rappeler ses ministres à l’ordre, de freiner les déplacements superflus, et surtout de réorienter les priorités vers le service aux citoyens.
Dans un contexte où l’État a fui le bas de la ville pour raisons de sécurité, aucun communiqué n’a informé le public des nouvelles adresses des institutions déplacées. Une population abandonnée, livrée à elle-même, contrainte de deviner où se trouvent les bureaux ministériels, comme dans une chasse au trésor kafkaïenne. Les professionnels, les avocats, les commerçants, les enseignants, tous se retrouvent à errer sans repères, faute d’une simple communication officielle.
Le respect du peuple commence par le respect de son temps et de ses démarches. L’État ne peut se permettre de se cacher derrière des hélicoptères ou des selfies en congrès. Il est temps que les responsables cessent d’agir comme des touristes de la République et reviennent à leur mission fondamentale : servir.
La rédaction