Port-au-Prince, le 28 avril 2025 – Dans un communiqué, le Conseil Présidentiel de Transition rappelle aux institutions judiciaires leur obligation de se saisir des dossiers concernant les personnes indexées sous les différents régimes de sanctions internationales. Le président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Fritz Alphonse Jean, a adressé une correspondance au Premier ministre Didier Fils-Aimé afin qu’il se saisisse des dossiers impliquant des personnes visées. Jusqu’à novembre 2023, Fritz Jean avait dénoncé les sanctions internationales.
Aujourd’hui, il s’agit pour M. Jean de faire respecter les « engagements » d’Haïti dans la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et les violations des droits humains. Mais dans les coulisses du pouvoir, ce communiqué ressemble davantage à un règlement de comptes politique qu’à un sursaut d’éthique ou de transparence.
Pourquoi ce communiqué à moins de quatre mois de remettre le pouvoir à Laurent Saint-Cyr, représentant du secteur privé chargé de conduire le pays vers des élections ? La question mérite d’être posée.
Une attaque ciblée ?
Cette initiative frappe de plein fouet le secteur des affaires et la classe politique. Plusieurs observateurs y voient aussi une tentative de marginaliser certains partis politiques à l’intérieur du CPT et aussi d’autres composantes de cette structure atypique, notamment l’Accord de Montana, dont les représentants sont aujourd’hui plus proches du secteur privé que de Fritz Jean lui-même, censé en être le porte-étendard.
Crise interne au sommet de l’État
Cette sortie du président du CPT intervient au moment où la Primature et le Ministère de la Justice dénoncent l’inefficacité de la Police nationale (PNH) à rétablir la sécurité, malgré des sommes faramineuses allouées par l’État à la PNH et les deux visites inexpliquées en quarante-huit heures de Leslie Voltaire à Rameau Normil.
Les critiques visent directement le directeur général de la PNH, Rameau Normil, dont le départ est réclamé publiquement par plusieurs composantes de l’exécutif et de la société civile. Dans son rapport du 7 Avril 2025, même le Binuh ne s’explique pas les retards de la PNH sur le terrain malgré les alertes.
Ce communiqué intervient aussi après plus d’une semaine de fuites de documents montrant des montants alloués à la Police Nationale d’Haïti, après des rapports dénonçant la gestion du CPT, en marge des Conseils de ministres avortés devant statuer sur le renvoi ou le maintien de Rameau. Il faut bien noter l’ahurissante vidéo de Jimmy Cherizier alias Barbecue donnant un satisfecit à Rameau qui, d’après ses dires, n’est pas le problème et dénonçant nommément le Premier Ministre à travers son gendre.
Il intervient aussi, après des massacres à Pacot, à Mirebalais, …., après une visite de Leslie Voltaire affirmant son soutien au DG Rameau Normil, … Après des rapprochements avec Edgar Leblanc pour diluer l’alliance Fritz Jean, Leslie Voltaire et Rameau Normil. Cette séquence d’événements qui a précédé ce communiqué du CPT invite à se poser de sérieuses questions sur la véritable motivation de Fritz Jean.….
Dans ce contexte de tensions croissantes et ce climat délétère, l’initiative de Fritz Jean apparaît donc comme une stratégie de diversion visant à détourner l’attention. Une tentative de faire oublier certains dossiers, notamment celui de l’argent de l’intelligence et tous les fonds détournés, dénoncés par le RNDDH .
Parlant de corruption, pourquoi ne revient-il pas sur le dossier du terrain acquis par Leslie Voltaire en violation des normes légales ? Selon les dernières informations en circulation, la Unibank dont un des fondateurs a été sanctionné par le Canada aurait refusé d’officialiser la vente du terrain à Tabarre, destiné aux Forces armées d’Haïti, pour un montant de 20 millions de dollars exigé par Voltaire, alors que le prix réel de l’acquisition serait de 15 millions. Une manœuvre qui a laissé un goût amer, jusque dans les rangs du Conseil. D’autres observateurs voient aussi une tentative de rapprochement avec les Nations Unies à travers le Binuh et le Comité des sanctions, un signe de main au Canada qui a notamment sanctionné des hommes d’affaires du pays. Fritz Jean veut-il barrer la route à Laurent St-Cyr?
Parallèlement aux soupçons de corruption, plusieurs organisations de défense des droits humains ont récemment révélé que les conjoint(e)s et petites amies de certains membres du CPT dont celle de Fritz Jean recevraient des paiements mensuels allant jusqu’à 500 000 gourdes. Le coût global des montants alloués aux membres du CPT dépasserait désormais les 93 millions de gourdes par mois près de huit cent mille dollars américains (800.000us).
Alors que l’appareil sécuritaire s’enlise, le communiqué de Fritz Jean semble avoir un double objectif : protéger ses alliés au sein du pouvoir, dont le directeur général de la Police et neutraliser les opposants internes à sa gouvernance, notamment le secteur des affaires représenté par Laurent Saint-Cyr.
Une lutte d’influence qui paralyse la transition
Dans cette guerre de tranchées institutionnelle, la lutte contre la corruption devient l’outil même de l’impunité. Loin d’un véritable engagement en faveur de la justice, le Conseil Présidentiel semble utiliser les leviers judiciaires pour réaffirmer son autorité dans une guerre ouverte face à la Primature qui symbolise aussi le secteur des affaires.
Ce communiqué, au goût amer de quête de popularité et de manipulation politique, confirme une chose : la transition haïtienne est aujourd’hui otage des ambitions personnelles et des querelles internes d’un pouvoir sans vision ni légitimité populaire.
Cependant, le Conseiller Président Fritz Jean doit être prudent, car il a des dossiers pendants.
Celui du musée de la monnaie au Cap-Haïtien et celui qui languit au greffe du tribunal relatif aux hommes armés qui l’accompagnaient dans les rues de Port-au-Prince, lors du dépôt de ses pièces comme candidat à la présidence de la transition en janvier 2022 pour l’Accord du Montana.
Un dossier que notre rédaction suivra de très près.
En tout état de cause le bruit court que Leslie Voltaire aurait rapiécé les relations de Fritz avec Lavalas dans le cadre des perspectives d’avenir électoral. Il n’est que d’attendre.
La rédaction