17 avril 2025 – 200 ans après l’ordonnance de Charles X
Le 17 avril 1825, un roi français apposait sa signature sur un document qui allait coûter cher à la première République noire du monde : une reconnaissance marchandée de l’indépendance d’Haïti. Deux siècles plus tard, presque jour pour jour, le président français Emmanuel Macron rompt politiquement un long silence historique. Par sa voix LA FRANCE reconnaît, enfin, que cette dette représentait « un prix sur la liberté » d’un peuple. Mais cette reconnaissance symbolique suffit-elle à solder les comptes de l’Histoire ?
Le discours du président Macron, prononcé à l’occasion du bicentenaire de l’ordonnance de 1825, a des accents de courage et de lucidité. Il évoque et revendique la révolution haïtienne comme un écho fidèle aux idéaux de 1789, souligne le poids injuste de l’indemnité, et annonce la création d’une commission mixte franco-haïtienne chargée de « tout examiner », y compris l’impact de cette dette sur le destin économique d’Haïti.
Ce geste est fort. Il tranche avec des décennies de déni, voire de mépris diplomatique. Il établit une volonté de dialogue, ouvre une voie vers une coopération renouvelée, et rompt avec le ton paternaliste, condescendant même, qui a longtemps marqué la relation entre Paris et Port-au-Prince.
Mais à y regarder de plus près, ce discours reste une avancée symbolique davantage qu’un tournant politique. Car, à aucun moment Emmanuel Macron ne reconnaît l’existence d’une dette à rembourser. À aucun moment il ne prononce les mots de « restitution », ni de « réparation ». La commission annoncée n’a pas pour mandat de proposer un plan d’indemnisation, mais de « formuler des recommandations » après une phase d’étude historique.
Et surtout, le ton historique de la note est soudainement interrompu par une mention inattendue :
« Comme la Communauté des Caraïbes et les États-Unis, la France condamne fermement toute tentative de déstabilisation des autorités de transition. »
Ce rappel, glissé à la fin d’un texte mémoriel, a surpris plus d’un observateur et détonne. Pourquoi insérer cette déclaration politique dans une note censée panser les blessures de l’Histoire ? Pourquoi réaffirmer l’alignement avec les puissances occidentales sur la situation actuelle d’Haïti alors qu’une déclaration conjointe avec le Royaume-Uni sur ce même sujet avait déjà été publiée le 16 avril, donc la veille ?
Cela laisse un arrière-goût de stratégie diplomatique : comme si la mémoire servait aussi d’emballage opportuniste à une volonté de maintenir l’ordre géopolitique actuel, sans remettre en question les asymétries profondes entre Paris et Port-au-Prince. Comme si, derrière les mots de justice historique, persistait encore une volonté de contrôle sur les dynamiques politiques internes d’Haïti.
On ne peut s’empêcher de penser à cet épisode qui rappelle la courageuse prise de position d’Edgard Leblanc à la Tribune de l’ONU dans la suite de celle de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, qui en 2003, avait été l’un des premiers chefs d’État haïtiens à réclamer haut et fort cette restitution. Aristide avait chiffré cette dette à 21 milliards de dollars, en tenant compte de l’inflation.
En tout état de cause, cette note présidentielle de Macron représente donc un tournant majeur, mais pas un aboutissement. Le véritable test viendra plus tard, lorsque dans un délai raisonnable, la commission rendra son rapport. Ce jour-là, la France devra répondre à une question simple : est-elle prête à passer des paroles aux actes ?
En attendant, il appartient à Haïti — ses historiens, ses diplomates, ses citoyens tout court — de saisir cet espace d’écoute, sans renoncer à la justesse des revendications. Car la mémoire n’est pas une monnaie d’échange. Elle est un outil de justice. Et la justice, elle, ne peut pas être différée indéfiniment.
On se trouve bien aujourd’hui au carrefour de la vérité!
La rédaction