Ancienne directrice générale du SMCRS et du SNGRS, Magalie Habitant est loin d’être une inconnue dans les cercles du pouvoir en Haïti. Figure controversée, son nom revient avec insistance dans plusieurs dossiers mêlant corruption, détournement de fonds publics, trafic d’influence, et complicité avec des gangs armés. Son arrestation par la DCPJ le 9 janvier 2025 à Laboule 12 pourrait bien être le fil qui dévoile un système mafieux profondément enraciné au sein de l’État haïtien.
Un réseau mafieux bien structuré
Le rapport de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) décrit un système tentaculaire impliquant le financement de gangs, la manipulation de fonds publics et l’implication directe de figures politiques et économiques de premier plan.
Deux numéros de téléphone, utilisés par Habitant, auraient été en contact fréquent avec les chefs de gang les plus redoutés du pays : Jimmy Chérizier (alias Barbecue), Izo, Ti Lapli, Lanmò San Jou, Granmoun nan, Jeff Gwo Lwa, entre autres. Ces échanges, retracés grâce à des données croisées de Digicel et NATCOM, incluent des appels, messages WhatsApp, notes vocales et transferts d’argent via la plateforme Mon Cash.
Une logisticienne du crime organisé
Derrière cette toile, Magalie Habitant apparaît comme une logisticienne redoutable. Elle aurait facilité l’acheminement d’armes, de véhicules et de fonds vers plusieurs réseaux criminels.
Le directeur de la CAS, Elionor Devallon, est lui aussi cité dans l’enquête pour complicité. La CAS, sous tutelle du Ministère des Affaires Sociales, est depuis longtemps instrumentalisée par les pouvoirs en place comme canal de financement et de contrôle dans les quartiers populaires sous l’influence de groupes armés.
Dans un autre épisode, c’est la ligne téléphonique de l’ex-député Prophane Victor qui aurait servi à organiser l’acheminement de munitions. Ce dernier affirme que le numéro aurait été utilisé « pour sa propre sécurité ».
Un passé chargé de soupçons
Magalie Habitant est impliquée dans plusieurs affaires qui ont déjà attiré l’attention des autorités judiciaires :
- Enlèvements et relations avec des gangs (2021-2025) : Soupçonnée d’avoir joué un rôle d’intermédiaire, notamment lors d’enlèvements de ressortissants dominicains.
- Détournement de fonds au SNGRS (2017) : La Cour Supérieure des Comptes l’a sommée de restituer 38 millions de gourdes pour gestion irrégulière.
- Affaire des mercenaires de la BRH (2019) : Un véhicule impliqué dans l’arrestation de sept étrangers armés appartenait à Habitant. D’autres véhicules similaires, achetés cash, étaient immatriculés au nom de Jean Fritz Jean-Louis ou de la société AGRIMAC, liée à l’ex-député Alfredo Antoine.
La « chanson » de Magalie et ses premières retombées
Interpellée le 9 janvier, Magalie Habitant aurait commencé à collaborer avec la justice. Selon Leslie Voltaire, lors, président du Conseil Présidentiel de Transition :
« J’ai l’impression que Magalie Habitant chante. Cela dépend de la chanson, mais d’autres personnes pourraient être arrêtées. »
Depuis, Prophane Victor et le directeur du CAS ont été placés en détention préventive.
Ramifications politiques : révélations explosives
Lors de son interrogatoire, Magalie Habitant a affirmé avoir agi en 2021 sous ordre du défunt président Jovenel Moïse, dans un dossier d’enlèvement impliquant des Dominicains. Elle aurait aussi collaboré avec Garry Conille, ancien Premier ministre.
L’ombre du CNDDR (Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion) plane également sur l’affaire. Certains de ses membres, bien qu’informés des tractations entre gangs et personnalités publiques, n’auraient jamais alerté la justice. Une inaction qui soulève de graves interrogations sur la compromission des institutions.
Le rapport de la FJKL : une bombe silencieuse
L’organisation de défense des droits humains FJKL a publié un rapport accablant sur l’enquête en cours, même si elle félicite le travail. On y apprend que :
- Lors d’un interrogatoire, les enquêteurs ont demandé à Magalie Habitant si elle œuvrait de concert avec la coalition « Viv Ansanm » pour propulser l’Inspecteur général Alain Auguste à la tête de la PNH. Elle n’a pas confirmé avoir sollicité l’appui des gangs à cet effet.
- Trois des treize prévenus arrêtés ont été libérés le 14 avril 2025 : Jacquelin Glaude, Peterson Felix et Evens Monnier. Les autres sont renvoyés devant le juge d’instruction.
- Malgré trois convocations, Alain Auguste ne s’est pas présenté à la DCPJ. S’il l’avait fait, estime la FJKL, il aurait risqué l’arrestation, victime d’un excès de zèle visant à plaire à la hiérarchie.
- En parallèle, aucune enquête n’a été ouverte contre un homme d’affaires ayant offert un véhicule blindé Toyota Land Cruiser (valeur estimée à plus de 250 000 USD) à Jeff Canaan, figure proche des gangs. Le nom de ce mécène est tenu secret par la DCPJ. Un silence troublant.
Conclusion : juger une femme ou démanteler un système ?
Magalie Habitant n’est pas simplement une suspecte parmi d’autres. Elle incarne une mécanique bien huilée où se mêlent politique, argent et violence. Son dossier est un miroir cruel : celui d’un État dédoublé, gangréné par les mafias politico-économiques.
La justice haïtienne est aujourd’hui à la croisée des chemins. Saisira-t-elle cette occasion pour frapper un grand coup et faire tomber le réseau, ou se contentera-t-elle d’une tête symbolique pour calmer les pressions ?
L’heure n’est plus aux demi-mesures. L’enjeu dépasse une personne. Il s’agit de sauver ce qui reste de la République.
La rédaction