Port-au-Prince, 11 mai 2025 – Le président de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), Ilan Goldfajn, a effectué une visite officielle de trois jours en Haïti (7-9 Mai 2025), marquée par des rencontres de haut niveau, des déplacements dans le Grand Nord et la signature d’accords majeurs.
Durant son séjour, M. Goldfajn a rencontré Fritz Alphonse Jean, coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition, ainsi que le ministre de l’Économie et des Finances, Alfred Fils Métellus. L’objectif affiché : renforcer le partenariat entre la BID et Haïti dans un contexte socio-économique particulièrement difficile, et mieux cibler les besoins prioritaires.
Parmi les annonces phares figure un projet révisé de 125 millions de dollars pour l’eau, l’assainissement et l’hygiène, destiné à améliorer l’accès à ces services pour plus de 130 000 ménages dans le Grand Nord. Le président de la BID a également visité des projets financés par son institution dans les domaines de l’éducation, des infrastructures routières, de la culture et de la gouvernance.
Le secteur textile n’a pas été en reste : une rencontre avec Fernando Capellan, directeur de la Compagnie de Développement Industriel (CODEVI), à Ouanaminthe, a permis de réaffirmer l’intérêt de la BID pour des investissements stratégiques dans le Nord-Est.
Entre promesses et réalités : la DINEPA en difficulté
Mais cette visite soulève aussi des interrogations. Si les engagements financiers sont considérables, leur mise en œuvre concrète pose problème. En février 2025, la Direction Nationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement (DINEPA), à travers l’OREPA Sud, avait lancé les travaux du Système d’Alimentation en Eau Potable (SAEP) de Berette, dans la commune de Cavaillon dans le Sud’Est du pays. Ce projet, financé par la BID (DON 4697/GR-HA) en partenariat avec l’UNICEF, devait améliorer l’accès à l’eau potable dans cette zone rurale.
Mais en réalité, l’exécution est entravée. De plus, malgré un appel d’offres publié en décembre 2024 (T-AOI-No.27-08/24) dans le cadre du Projet d’eau, d’assainissement et hygiène en zones urbaines, périurbaines et rurales du Grand Nord, plusieurs fournisseurs rapportent que la DINEPA peine à honorer les paiements dus pour les services déjà fournis. L’actuel Directeur Général de l’institution, Ing.Théophile Ostinvil, refuse d’honorer les engagements pris par son prédécesseur dans le cadre du suivi des projets.
Des prestataires contactés déclarent avoir livré du matériel ou entamé des travaux sans avoir été payés depuis des mois, créant un climat d’incertitude et freinant la progression des projets.
Une stratégie ambitieuse… en décalage avec le terrain ?
Sur les cinq dernières années, la BID affirme avoir mobilisé plus de 670 millions de dollars, dont 200 millions rien qu’en 2024, pour des investissements critiques en Haïti dans les secteurs de l’éducation, la santé, l’eau, l’assainissement et le secteur privé. Pour 2025–2026, la Banque prévoit 243 millions de dollars supplémentaires en subventions, avec 140 millions de projets déjà en préparation. Parmi ces projets figurent un programme de formation des jeunes visant à prévenir le recrutement par les gangs, ainsi que la réhabilitation de la salle d’urgence et du service de chirurgie de l’Hôpital Justinien.
Mais cette dynamique, saluée par les autorités haïtiennes, risque d’être freinée si les failles institutionnelles ne sont pas corrigées. Les promesses de financement ne suffisent pas si l’absorption des ressources reste aussi faible. Comment garantir que les montants annoncés se traduisent effectivement en services concrets et durables pour la population ?
La BID dit vouloir agir dans une logique de croissance inclusive et de soutien immédiat. Une table ronde avec des entrepreneurs haïtiens a permis d’échanger sur les moyens de mobiliser le secteur privé et de créer de l’emploi, notamment dans le textile selon les différents communiqués du Conseil présidentiel de transition (CPT).
La DINEPA, bras technique de l’État en matière d’eau et d’assainissement, incarne aujourd’hui cette contradiction : des projets financés, mais bloqués faute de suivi, de moyens ou de transparence.
La Rédaction