Mise en contexte
Le giraumon (joumou) est un légume de la famille des « cucurbitacées » et est un des ingrédients importants de la soupe du premier Janvier des Haïtiens. Même lorsque dans certaines familles, le giraumon est utilisé au cours de l’année et surtout dans la soupe du dimanche, sa présence le premier janvier a une tout autre signification car c’est la tradition- notre histoire.
En effet, il est dit que la soupe au giraumon, du temps de la colonie, n’était servie qu’aux grands colons planteurs, et les esclaves n’y avaient pas accès. Ce n’est qu’après, le 1er Janvier 1804, selon ce qui est rapporté- le jour de la rédaction de l’Acte de l’Indépendance par les aïeux qui ont mis en déroute l’armée de Napoléon- que la femme du vaillant Jean-Jacques Dessalines, Claire-Heureuse, fit goûter cette soupe aux esclaves.
Pour Claire-Heureuse et les généraux, cela signifiait que les données, les situations et l’environnement avaient changé. La soupe était offerte aux nouveaux libres sans discrimination, parce que tous les hommes et toutes les femmes et même les enfants en avaient droit. Les haïtiens mangent la soupe car c’est la coutume, donc important pour la communauté. Cependant, ils n’appréhendent pas la valeur historique. Dans « la tête » de bon nombre d’entre eux, ces deux évènements du 1er Janvier- Soupe au giraumon et Indépendance d’Haïti sont 2 entités différentes qui n’ont aucun lien, aucun rapport.
Valeur Historique et Politique
Le fait que la soupe au giraumon a été introduite le jour où l’Acte de l’Indépendance fut signé par le « Général en chef de l’Armée Indigène accompagné des généraux, chefs de l’armée » et étant donné que la distribution aux esclaves fut suggérée par la « Première dame » Claire -Heureuse, femme de Dessalines, ainsi cela donne à cette soupe un caractère tout à fait politique. En effet, les Haïtiens devenus libres à la suite de leur victoire sur l’ennemi et ayant signifié leur indépendance par un Acte, ont pris la décision de communiquer leur autonomie, d’être les auteurs « des mesures qui doivent tendre au bonheur du pays », de prendre leur propre destin en main, c’est-à-dire la direction de leurs propres affaires.
N’est-il pas écrit dans l’Acte de l’Indépendance : « Il faut, par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vu naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir ; il faut enfin vivre indépendants ou mourir ». La soupe « popularisée » est un geste significatif qui témoigne de la rupture avec le passé.
C’est un symbole de liberté et d’émancipation associé à l’Acte de l’Indépendance. Se rappeler que ce 1er Janvier 1804, les généraux avaient « tous juré à la postérité, à l’univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination.
Valeur culturelle
Il est vrai que le corps humain a besoin d’être nourri pour rester en vie, mais au-delà de l’aspect physiologique ou biologique, la nourriture a d’autres vertus à son actif. La nourriture peut « parler et représenter » un peuple à travers le monde. Le langage de la nourriture charrie des émotions, des coutumes, des histoires et des valeurs. C’est à cause de tout cela que la soupe au giraumon- « soup joumou », est reconnue par l’UNESCO.
L’enregistrement de la soupe au giraumon dans le fichier n° 01853 est en ces termes sur le site officiel de l’UNESCO, « Inscrit en 2021 (16.COM) sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité ». Plus loin, nous lisons : « La soupe joumou, ou soupe au giraumon, est une soupe traditionnelle haïtienne à base de citrouille, comprenant des légumes, des bananes plantains, de la viande, des pâtes et des épices.
Il s’agit d’un plat de fête, profondément enraciné dans l’identité haïtienne, dont la préparation favorise la cohésion sociale ainsi que le sentiment d’appartenance aux communautés ».
Valeur familiale et sociale
Chez nous, le partage de la nourriture en famille ou avec le voisin est courant. En général, l’haïtien ne mange pas seul, du moins c’était la coutume. Manger ensemble est un signe de convivialité et de savoir-vivre. L’utilisation des produits de nos champs facilite aussi ce sens du partage. En effet, le giraumon peut être du verger d’une famille, mais le chou par exemple de celui du voisin. S’asseoir autour de la table ou même de la marmite, engendre un sentiment d’appartenance, de communion.
C’est une occasion d’échanger des souvenirs, de discuter, de prendre des décisions, par exemple. Partager la soupe le 1er Janvier dégage un aspect de cohésion sociale et familiale. Nous sommes un seul peuple, une nation !
Valeur touristique
Aujourd’hui la soupe au giraumon est servie dans différents coins de la planète et les étrangers apprennent à l’apprécier. Beaucoup de gens et surtout des haïtiennes utilisent les réseaux sociaux pour faire la promotion de la soupe au giraumon et communiquer leur recette. Et puisque la technologie nous rallie et qu’elle élimine les frontières, la soupe au giraumon se retrouve dans les menus et sur les tables des étrangers.
Projection et suggestion
Nous appuyant sur tout ce qui est dit plus haut, nous demandons pourquoi ne pas consacrer le giraumon, base de la soupe, comme étant un produit agricole à développer à travers le pays. Le 1er Janvier deviendrait non pas uniquement un jour où les dirigeants se déplacent pour placer une gerbe de fleurs au MUPANAH ou sur la Place de l’Indépendance aux Gonaïves, et où seulement certaines familles mangent la soupe, mais une journée d’action de grâces comme celle observée au Canada le 2ème lundi d’Octobre , ou aux USA le quatrième jeudi de Novembre.
Aux Etats- Unis, par exemple, la dinde de la Thanksgiving se retrouve partout et s’achète à très bon prix. Les employeurs en distribuent aux employés, les organisations caritatives en font de même. Pourquoi chez nous ne pas en faire autant avec le giraumon et ainsi qui sait, notre giraumon qui est excellent, se retrouvera sur les étagères étrangères et renflouera notre économie. De ce fait, le 1erjour de l’année combinera l’histoire et les valeurs traditionnelles et culturelles pour lesquelles il nous faut rendre grâces. Et ainsi renaitra le civisme et les valeurs qui font de nous un peuple respectable et respecté.
« Nous avons osé être libres, osons l’être par nous-mêmes et pour nous-mêmes » en étant créatifs et proactifs.
Dr. Winie Edugène Robin
2 janvier 2025