La « Mizikasyon » nous est revenu le 1er décembre 2025, en une nouvelle version de cet album qui, 40 ans de cela, sortait pour bercer le cœur des mélomanes. Pour marquer le coup, Le Quotidien 509, à travers sa chronique Lyrics, vous propose un voyage bercé par le titre Siwomyèl de l’album Mizikasyon sorti en 1985, œuvre de Raoul Denis Jr, qui joue sur une métaphore centrale : celle du miel natif-natal, de la douceur, la chaleur, la vitalité, l’énergie nourricière que nous héritons tous de notre presqu’île paradisiaque… Chez Tira, cette douceur n’est jamais naïve, elle porte un sous-texte de lucidité, parfois même de mélancolie.
En 1985, ce miel était déjà une réponse poétique à un pays fracturé politiquement mais vibrant culturellement. La musique suggérait que dans la rudesse de la vie haïtienne existait un « reste de douceur », une force intime encore capable de consoler, d’élever, d’unir. En 2025, cette métaphore gagne une dimension nouvelle : le miel devient rare, la douceur menacée, la fierté empêchée, la diaspora exilée émotionnellement autant que géographiquement. Ainsi, Siwomyèl devient un symbole : ce que l’on emporte avec soi quand on quitte Haïti, malgré tout. De la poésie pour la mémoire, Siwomyèl est un chant qui relie, le miel comme archive affective pour affirmer la saveur de notre culture et de nos mœurs.
« Si tu viens d’Haïti on a la même mélancolie
Si tu viens d’Haïti ne fais confiance qu’à ton ciel » …
Tira utilise également la musique comme un lieu de mémoire : rythmes hérités comme une ouverture sur le monde tout en gardant ses racines profondément ancrées pour une Mizikasyon universelle. Il harmonise le jazz et les airs créoles pour une mélodie solaire. Siwomyèl condense cette mémoire en un objet concret, sensoriel : un goût, une texture, une douceur qu’on reconnaît même loin de chez soi. Cela donne au texte (et à la musique) une force de rappel. Le miel est ce qui reste sur la langue quand les mots manquent ; c’est ce qui survit à l’exil.
Entre nostalgie et résistance, la chanson ne s’apitoie pas. Elle porte une nostalgie active et féconde. Le miel n’est pas seulement le souvenir, mais énergie vitale, un sentiment d’attache qui démontre qu’en réalité « lakay se lakay tout bon vre » pour continuer à avancer même dans l’éparpillement. Elle dit à l’Haïtien de la diaspora : « Ou se kannari ki pote dlo dous lakay ou, menm si ou pa kapab retounen kounye a. »
Siwomyèl (et Mizikasyon) porte de 1985 à aujourd’hui en 2025 une évolution de sens. Au départ, la douceur contre la dureté : à l’origine, la chanson était un contrepoint : douceur musicale face à une époque politiquement dure. Elle offrait un espace de respiration, de beauté, de légèreté maîtrisée. Mais aujourd’hui en 2025 : douceur et mélancolie de l’exil comme acte de survie. La relecture actuelle transforme Siwomyèl en acte de résistance émotionnelle, « un acte de présence » de la diaspora, large de plus de deux millions d’âmes, qui vivent une forme de déchirement : ne pas pouvoir rentrer au bercail, ne pas pouvoir s’affirmer sans explication ou justification, sentir que sa propre identité est un lourd à porter… Dans ce contexte, la chanson devient un refuge identitaire, un lieu où l’Haïtien peut s’entendre et se reconnaître.
La nouvelle version, arrivée ce 1er décembre 2025, agit comme un geste artistique : offrir de la douceur dans un monde où Haïti semble n’en produire que par exception. Ce n’est pas seulement une mise à jour musicale : c’est une réaffirmation de ce que la culture haïtienne a de plus lumineux. Elle est une réponse à l’exil intérieur, car même ceux qui demeurent en Haïti vivent souvent comme s’ils étaient en exil dans leur propre pays. Ce message trouve une intensité nouvelle en 2025, moment où l’identité haïtienne semble mise à l’épreuve comme rarement auparavant. Elle est pour nous une opportunité de célébrer une fois de plus des légendes comme Raoul Denis Jr, Fabrice Rouzier, Carole Demesmin, entre autres… eux qui nous permettent de garder l’âme haïtienne vivante et consciente pour qu’on puisse affirmer haut et fort notre Haïtianité…
Marc Arthur Paul
Du même auteur : En réponse à l’ingérence : light is coming your way de Tabou Combo
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