Position du Forum
des Anciens Premiers Ministres d’Haïti
sur la question des sanctions
Devant des tentatives maladroites de récupérer au niveau national des sanctions unilatérales, parfois arbitraires, contre certaines personnalités Haïtiennes, le Forum des Anciens Premiers Ministres, se doit de constater que l’ostracisation d’Haïti au travers de certains de ses dirigeants est arrivée à un paroxysme. La méthodologie est-elle appropriée pour les résultats escomptés ?
La méthodologie est-elle appropriée pour les résultats escomptés ?
Sanctions sans procès : la nécessité d’un cadre juste, équitable et respectueux des droits fondamentaux.
« La légitimité morale d’une lutte contre l’impunité ne saurait justifier la suspension des droits fondamentaux. »
- Contexte général : une initiative multilatérale, des prolongements unilatéraux
En octobre 2022, face à la montée de l’insécurité en Haïti et à l’emprise croissante de groupes armés sur plusieurs zones urbaines, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté à l’unanimité la résolution 2653, instaurant un régime de sanctions ciblées contre les principaux responsables de cette violence. Cette mesure s’inscrivait dans une volonté internationale de soutien à la stabilisation d’Haïti et au démantèlement des circuits de financement des groupes armés.
Cependant, dans les mois suivants, des initiatives unilatérales ont émergé, en particulier de la part du Canada, puis d’autres partenaires tels que les États-Unis, la France, et certains États membres de l’Union européenne. Ces démarches, bien que motivées par une volonté d’agir contre l’impunité, ont été conduites en dehors du cadre onusien, sans transparence suffisante, ni procédure de recours, ni l’évidence des preuves à l’encontre des personnes ciblées.
- Du cadre normatif international à une application sans garanties procédurales
La résolution 2653 prévoyait un mécanisme encadré :
- Ciblant les chefs de gangs, leurs financeurs ou les auteurs de violations graves des droits humains,
- Avec une liste de sanctions officielle, un comité de suivi et la possibilité de recours via un Point focal des Nations Unies.
Ce modèle de sanctions assurait un minimum de garanties procédurales dans le respect des droits fondamentaux.
Or, l’approche développée par certains États s’est affranchie de ces garde-fous. Le Canada, notamment via sa Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES), a pris des sanctions économiques et politiques à l’encontre de plus d’une trentaine de citoyens haïtiens – anciens dirigeants, hommes d’affaires, diplomates – sans publication de preuves, sans droit de défense, sans audience contradictoire.
De nombreuses personnalités ont exprimé publiquement leur étonnement, leur indignation et ont formulé des demandes de clarification, sans retour formel à ce jour.
- Enjeux juridiques, diplomatiques et institutionnels
Les sanctions ciblées peuvent être un instrument légitime de diplomatie coercitive, à condition d’être encadrées juridiquement et mises en œuvre dans le respect des droits de la défense. Dans le cas d’Haïti, les pratiques observées soulèvent de profondes inquiétudes :
- Absence de transparence dans les procédures,
- Atteinte à la présomption d’innocence,
- Impossibilité d’exercer un recours effectif,
- Impact social et professionnel dévastateur pour les personnes visées,
- Détérioration injustifiée du climat de confiance déjà fragilisé.
De surcroît, des sanctions infligées à des personnes sans lien avéré avec les gangs, mais impliquées dans les débats politiques ou économiques du pays, peuvent être perçues comme des interférences dans les dynamiques internes haïtiennes, ce qui va à l’encontre de l’esprit de coopération internationale.
- Appels ignorés, dialogue à construire
Des requêtes formelles ont été adressées aux autorités canadiennes, américaines et européennes, pour :
- Obtenir l’accès aux dossiers,
- Permettre l’exercice d’un droit de réponse,
- Demander la levée ou la révision des sanctions.
À ce jour, aucune de ces démarches n’a reçu de réponse officielle satisfaisante, malgré les engagements internationaux pris en matière de transparence et de respect des droits humains.
Cette absence de dialogue constitue un point de blocage diplomatique qu’il convient de dépasser dans l’intérêt d’une coopération constructive et d’un appui crédible à l’État de droit en Haïti.
- Rappel du cadre normatif applicable
Les principes fondamentaux du droit international interdisent les sanctions arbitraires :
- Déclaration universelle des droits de l’homme (articles 6, 10, 11)
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 14 et 15)
- Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
- Constitution haïtienne (articles 24, 26, 29)
- Recommandations du Forum des Anciens Premiers Ministres
- Dans un esprit de responsabilité institutionnelle et d’attachement aux principes de justice, le Forum des anciens Premiers ministres d’Haïti :
- Demande l’établissement d’une commission indépendante et mixte (internationale et haïtienne) chargée de l’examen des sanctions en cours.
- Rappelle le respect du principe de contradictoire, du droit d’accès au dossier et de la possibilité de se défendre devant une instance impartiale.
- Recommande la suspension temporaire des sanctions pour lesquelles aucune preuve publiable n’a été communiquée.
- Propose l’ouverture d’un dialogue diplomatique bilatéral structuré entre Haïti et ses partenaires (Canada, USA, UE), afin de reconstruire une base commune de confiance.
- Encourage l’appui international à la mise en place d’un organe national de suivi des sanctions, garant d’une meilleure transparence et d’un traitement équitable.
- Conclusion : vers une coopération fondée sur la justice et la souveraineté
Haïti a besoin d’un partenariat international ferme, mais juste. La lutte contre l’impunité ne peut se faire au détriment des principes de justice. Elle exige rigueur, équité et respect de la dignité humaine.
Le Forum des anciens Premiers ministres rappelle que :
- La souveraineté d’Haïti doit être respectée.
- La justice ne peut s’exercer sans preuves, sans procès, ni même sans des enquêtes de traçabilité.
- La coopération doit se fonder sur le droit, pas sur des présomptions.
- La réconciliation nationale exige que toutes les voix soient entendues, y compris celles contestées.
Haïti ne se relèvera pas par la stigmatisation, mais par le renforcement de ses institutions et la réhabilitation d’une justice impartiale.
– Fin –
Position sur Sanctions – Forum d’Anciens Premiers MInistres d’Haiti (FAPM)
Note de la rédaction. Vue l’importance de ce dossier, Le Quotidien 509 a décidé de publier l’intégralité de cette prise de position acheminée à notre rédaction.