Port-au-Prince, 15 mai 2025 — La décision du Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, transmise dans une lettre officielle au Commissaire du Gouvernement Frantz Monclair le 12 mai 2025, continue de faire réagir. Me Camille Leblanc, ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique, alerte sur les dérives juridiques et politiques potentielles de cette initiative qui vise à prendre des “Mesures conservatoires relatives aux personnes sanctionnées”, selon l’objet de ladite lettre.
Dans sa correspondance, le ministre Patrick Pelissier ordonne au Commissaire du Gouvernement de prendre « les dispositions légales pour le gel immédiat de tous les comptes appartenant aux individus sanctionnés sous le régime des Nations Unies, ainsi que ceux de leurs complices ». Cette injonction s’inscrit dans le cadre de l’application de la résolution 2653 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en octobre 2022, et du décret haïtien du 30 avril 2023 sur le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.
En réaction, Me Camille Leblanc souligne les vices de procédure et les intentions politiques sous-jacentes de cette démarche. Selon lui, une procédure rigoureuse aurait exigé deux étapes fondamentales :
« Une première démarche viserait à lister les personnes sanctionnées sous le régime des sanctions des Nations Unies. En second lieu, le Commissaire doit obtenir une ordonnance du Doyen pour faire la saisie. »
L’ancien ministre dénonce une tentative de détourner la justice haïtienne de son cadre légal :
« Mais à suivre la lettre du Ministre de la Justice, la démarche est autre : il faut nuire à toute personne sanctionnée politiquement par les ambassades étrangères. »
Il met en garde contre les conséquences explosives d’une telle approche, qui risque, selon lui, d’aliéner davantage une population déjà meurtrie :
« Cela va entraîner des réactions importantes, car les citoyens haïtiens, déjà victimes d’actes malhonnêtes, sans réaction des autorités haïtiennes, ne peuvent accepter un soutien aussi macabre de la justice haïtienne à l’injustice étrangère. »
Me Leblanc dénonce également la faiblesse juridique de la mesure annoncée :
« Une mesure provisoire en attendant la réponse des ambassades dans le cadre d’une entraide judiciaire veut tout dire, mais le Ministre tente de se dérober aux implications de sa démarche », souligne-t-il.
Enfin, il critique ouvertement le style du ministre Pelissier, qualifiant son vocabulaire d’« incompréhensible », laissant entendre une rédaction imprécise et potentiellement manipulatoire.
Poursuivant son analyse, Me Leblanc met en lumière la portée destructrice de cette mesure lorsqu’elle est appliquée sans base juridique solide : « En bloquant le compte de quelqu’un sans autres procédures, vous le détruisez au sens figuré, car il ne pourra pas fonctionner ni individuellement, ni professionnellement. C’est une liquidation de la personne, à un stade où vous n’avez aucun dossier réellement à charge. »
Un autre juriste, sous couvert d’anonymat, abonde dans le sens de Me Leblanc :
« La réaction de Me Leblanc est juridiquement correcte. S’il s’agit uniquement des sanctionnés de l’ONU, la lettre du ministre est sans objet, car les sanctions onusiennes s’imposent d’elles-mêmes et ne nécessitent guère de mesures conservatoires. »
L’instruction du ministre semble être une tentative de démontrer l’engagement du pouvoir en place. Reste à savoir si le Commissaire Frantz Monclair aura l’indépendance, la rigueur juridique et le courage institutionnel nécessaires pour mener ce dossier à terme dans un strict respect de l’État de droit.
Les déclarations de Me Camille Leblanc soulignent le risque d’arbitraire, dans un pays où les garanties procédurales sont déjà fragiles et où les institutions judiciaires peinent à se défaire de l’emprise politique.
La rédaction