Port-au-Prince, 17 juillet 2025 — Si le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé n’est pas revenu de sa tournée diplomatique aux États-Unis avec des contrats économiques majeurs, il en rapporte un capital politique et diplomatique considérable, qui pourrait bien reconfigurer les équilibres internes du pouvoir haïtien, en particulier face à un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) piloté par Fritz Alphonse Jean en quête de popularité.
Au cœur de cette stratégie : on distingue le contrat de lobbying signé dès février 2025 avec Carlos Trujillo, ex-membre du Congrès de Floride et ancien ambassadeur des États-Unis à l’OEA sous Donald Trump. Selon le Miami Herald, ce contrat, d’une valeur de 35 000 dollars par mois, a été conclu pour une durée d’un an afin de faciliter les accès de la Primature aux cercles d’influence américains, améliorer l’image d’Haïti, promouvoir les échanges économiques et accompagner les réformes financières.
Une tournée diplomatique bâtie sur des fondations stratégiques et opportunistes)
Ce contrat n’était pas un simple document administratif : il a permis l’organisation minutieuse d’un agenda riche, ciblé et transversal, avec des rencontres clés à la Maison-Blanche, au Congrès, et au siège de l’OEA. Grâce à cette architecture de lobbying, le Premier ministre a pu rencontrer à Washington des personnalités aussi bien républicaines que démocrates, sans heurter la sensibilité de la diaspora haïtienne.
Au programme : Michael Jensen au NSC, Brian Mast, Sheila Cherfilus-McCormick, Hakeem Jeffries, Gregory Meeks, Maxine Waters, Raphael Warnock, Mario Diaz-Balart, Michael Lawler et Christopher Landau. Ces rencontres ont permis au Premier ministre de faire le plaidoyer pour la sécurité, la tenue d’élections inclusives, la relance économique via la loi HOPE/HELP, et un moratoire pour la protection des Haïtiens à l’étranger (TPS, Humanitarian Parole).
Le CPT, grand absent du jeu diplomatique
En parallèle, le Conseil Présidentiel de Transition continue de briller par des failles diplomatiques. Aucun signal fort de Washington ne semble s’être dirigé vers le CPT, déjà affaibli par des scandales internes et des luttes de pouvoir. Pire encore : la posture diplomatique américaine, visible sur certaines photos officielles, laisse percevoir une distance assumée vis-à-vis de figures comme Fritz A. Jean, qui aurait été ciblé par des rumeurs durant l’absence du chef du gouvernement.
Un retour soigneusement mis en scène
De retour à Port-au-Prince, l’équipe de la Primature a orchestré un accueil quasi-triomphal : slogans, posters, bains de foule. Une opération de communication qui vise clairement à consolider l’image du Premier ministre et à le repositionner comme l’acteur central de la transition, bien au-delà d’un simple chef de gouvernement.
La présence remarquée du Directeur a.i. de la PNH, Rameau Normil, absent au départ mais présent à l’arrivée, alimente les spéculations sur un désalignement de la Police par rapport au CPT, voire un rapprochement tactique avec la Primature.
Autre signe révélateur : la lettre du ministre de la Justice, Dr Patrick Pélissier, adressée au DG de la PNH, dans laquelle il appelle à prendre des dispositions urgentes face à des rumeurs menaçantes. Une façon de dire que l’État est informé, et que les partenaires internationaux ne resteront pas inactifs si une nouvelle flambée d’insécurité survient.
Consciente qu’un homme politique a toujours besoin d’un bain de foule pour couronner un agenda réussi, l’équipe de Fils-Aimé n’a pas manqué d’en offrir un au Premier ministre à son arrivée. Faut-il rappeler, à titre de contraste, le bain de foule encadré par des hommes lourdement armés qu’avait orchestré Fritz Alphonse Jean lors de son investiture symbolique comme président de l’exécutif virtuel de Montana, aux côtés de Steven Benoît, alors désigné Premier ministre ?
Une victoire diplomatique, mais des attentes sociales
Ce voyage marque incontestablement un tournant dans la dynamique de la transition : une Primature affirmée, dotée d’un agenda et d’un réseau structuré, face à un CPT marginalisé et en perte de crédibilité.
Mais au-delà des succès symboliques et diplomatiques, une question persiste : quelles retombées concrètes pour la population ? Sécurité, ? pouvoir d’achat ? perspectives économiques ?… Le peuple attend plus que des photos de rencontres et des discours. Le terrain, lui, reste en attente de résultats tangibles.
Toutefois, il convient de souligner la déclaration marquante du Sous-secrétaire d’Etat Christopher Landrau à l’OEA, ainsi que les avancées notables du Secrétaire général Albert Ramdin concernant la République dominicaine dans le cadre du dossier haïtien.
Brigitte Benshow

