L’intervention percutante du sous-secrétaire d’État américain Christopher Landau, prononcée le 26 juin à l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA), a mis en lumière la lassitude croissante de Washington face à l’inaction et aux dysfonctionnements politiques dans certaines régions du continent. Si son discours évoquait le Venezuela, c’est Haïti qui a été au cœur de ses critiques, sans être nommée frontalement.
Landau a exhorté les États membres à dépasser les slogans pour poser des actes concrets en faveur de la démocratie, tout en dénonçant les manipulations judiciaires, les régimes autoritaires, et l’absence de volonté politique dans la région. Il a aussi clairement affirmé le droit souverain des États à protéger leurs frontières et à défendre les normes démocratiques. Les allusions au dossier haïtien, bien qu’indirectes, étaient transparentes.
Une diplomatie mal calibrée et des alliés discutables
Depuis plusieurs mois, les membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) peinent à faire entendre une voix cohérente à l’international. Plusieurs analystes relèvent une erreur stratégique majeure : Haïti semble s’être rapprochée essentiellement de pays en tension avec l’administration Trump — Venezuela, Colombie, et certains États de l’Amérique latine — tandis que la diplomatie américaine s’impatiente. Les tournées et Visio-conférence de Leslie Voltaire et de Harvel Jean Baptiste en témoignent.
Le sommet Caraïbes–Chine à Pékin, auquel Haïti a pris part, a été mal perçu à Washington, parce que Trump fait de la Chine son adversaire géopolitique numéro un.
Le pari manqué de Fritz Jean face à Rubio
D’après nos sources diplomatiques, la première rencontre entre Marco Rubio et Fritz A. Jean, en marge d’une réunion régionale en Jamaïque en mars dernier, a été largement infructueuse. Rubio, selon une source proche du dossier, aurait été “froid et agacé” par l’absence de clarté dans la feuille de route présentée par Fritz Jean.
Peu après, Rubio publiait un message sur X (ex-Twitter) :
“The United States condemns the ongoing gang violence in Haiti. Spoke with Transitional Presidential Council President Jean about the security situation in Port-au-Prince. Grateful for the bravery of the Haitian National Police and international personnel for working to stabilize Haiti.”
« Les États-Unis condamnent la violence persistante des gangs en Haïti. Je me suis entretenu avec le président du Conseil présidentiel de transition, M. Jean, sur la situation sécuritaire à Port-au-Prince. Reconnaissant envers le courage de la Police nationale haïtienne et du personnel international qui œuvre à la stabilisation du pays. »
Ce message reste une formule protocolaire, sans engagement diplomatique réel contrairement aux messages publiés après les rencontres avec la République Dominicaine. Depuis mars, les États-Unis ont encore durci le ton : fin du TPS, déportation, arrêt du programme humanitaire de Biden pour les Haïtiens, et ajout d’Haïti sur la liste noire des pays à haut risque pour les voyageurs.
“Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’autorité en Haïti”, a tranché un conseiller de Trump lors du Bannissement de voyage.
Une chancellerie à contretemps
Dans l’après-midi du 27 Juin, le même jour de la décision sur la Fin du TPS pour plus de 500 Mille Haitiens, la chancellerie haïtienne publiait un communiqué sur une rencontre du ministre Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste avec Christopher Landau à Antigua. Le ministre plaidait entres autres sur, le retrait d’Haïti de la liste noire migratoire, la reprise de l’aide humanitaire, la levée de l’embargo sur les armes pour la PNH, la constitution, le référendum…
Mais selon plusieurs diplomates, ces revendications étaient hors du temps : les décisions américaines étaient déjà actées. La chancellerie haïtienne a été informée postérieurement, révélant un manque d’anticipation criant dans la conduite des affaires étrangères.
Une diplomatie parallèle pour sauver la présidence ?
Fritz Jean a récemment demandé à l’ambassade d’Haïti à Washington de solliciter une nouvelle audience avec Marco Rubio, contournant ainsi les voies traditionnelles. L’objectif officieux serait de consolider sa position au sein du CPT et d’écarter trois conseillers affaiblis par l’affaire de la BNC, selon le journaliste Garry Pierre Paul Charles de Scoop FM.
Mais peut-on solliciter directement une telle rencontre sans passer par l’ambassade américaine à Port-au-Prince ? Le protocole s’y oppose.
Le CPT et sa chancelerie n’ont pas retenu le language diplomatique. Pendant que Rubio se rend dans la Caraïbe – en République dominicaine notamment – il évite soigneusement Haïti.
À l’heure où les États-Unis cherchent à renforcer des “économies jaguars” des Amériques, Haïti risque d’être laissée à l’abandon.
La dernière carte de Fritz Jean ?
La question demeure : le dernier recours diplomatique de Fritz Jean suffira-t-il à infléchir la position américaine ? Peu probable. À Washington, la méfiance s’installe. Les États-Unis veulent des partenaires fiables, légitimes, capables de gouverner et de stabiliser.
Les jeux de coulisse du CPT et l’impréparation de la diplomatie haïtienne semblent désormais peser lourd dans la balance. Les discours ne suffisent plus. Les actes s’imposent. Et Haïti, plus que jamais, doit jouer sa place dans le concert des nations.
La rédaction