Le 28 octobre est depuis 1983 une date phare pour les peuples créolophones du monde. Elle célèbre la Journée internationale de la langue créole et aussi de la culture créole, symbole de résistance, d’identité et de diversité culturelle. Près de 25 millions de locuteurs dans plus d’une douzaine de territoires, dont Haïti, marquent cette journée à travers des activités culturelles, éducatives et scientifiques.
Mais cette année encore, la célébration en Haïti a été entachée par un silence assourdissant du pouvoir exécutif, notamment du Conseil présidentiel de transition (CPT) et du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) — deux institutions pourtant au cœur des débats sur la refondation nationale et la réforme éducative.
Le paradoxe du pouvoir : célébrer le changement sans reconnaître la langue du peuple
Alors que le CPT s’affaire à gérer la complexité de l’après-7 février 2026, aucune déclaration officielle n’a été faite pour saluer la langue maternelle (la langue créole) de plus de 11 millions d’Haïtiens.
Un contraste saisissant, quand on sait que la langue créole constitue non seulement un pilon de l’identité nationale, mais aussi une clé incontournable pour repenser le système éducatif, historiquement marqué par une domination linguistique excluante.
Le créole à base lexicale française est parlé dans de nombreux territoires : Haïti, la Louisiane, la Guadeloupe, la Dominique, la Martinique, la Guyane, Sainte-Lucie, Trinidad, les Saintes, la Réunion, l’île Maurice, les îles Rodrigues, les Seychelles et Chagos. Parmi ces territoires, seuls Haïti et les Seychelles ont reconnu le créole comme langue officielle.
Plusieurs observateurs culturels et linguistes dénoncent cette banalisation politique d’une date qui devrait être un moment fort de réaffirmation culturelle et de reconnaissance institutionnelle.
« On ne peut pas prêcher la réforme du système éducatif sans donner au créole la place qu’il mérite dans l’enseignement et dans la gouvernance », a commenté un enseignant de la Faculté de linguistique appliquée (FLA), sous couvert d’anonymat.
La France souligne là où l’État haïtien se tait
Ironie du sort, c’est l’Ambassade de France en Haïti qui a le plus clairement rappelé, ce 28 octobre, la portée symbolique de la langue créole :
« Ce 28 octobre, nous célébrons la richesse et la créativité de la langue et de la culture créoles. Le créole est aussi un symbole de diversité et de résistance qui fait vibrer le cœur d’Haïti et de toute la Caraïbe », a publié l’ambassade sur X (@ambafranceht).
« L’ambassade de France partage la fierté de cette journée avec le peuple haïtien et salue tous les écrivains, enseignants et artistes qui font vivre la langue. Viv lang ak kilti kreyòl, ki se poto mitan idantite pèp ayisyen an. »
Un message venu rappeler à l’État haïtien sa propre responsabilité historique face à la déculturation rampante et à l’effacement progressif du patrimoine linguistique au profit d’un discours technocratique déconnecté.
Des acteurs qui résistent : écoles, universitaires et artistes
À Port-au-Prince, l’école Sainte-Trinité a organisé une série d’activités culturelles et pédagogiques autour du thème de la valorisation linguistique : concours de proverbes, contes traditionnels, dégustation de plats locaux et exposition d’objets anciens.
« L’amour de la patrie et le respect de la culture s’inculquent dès le bas âge. L’école doit être l’épicentre de ces apprentissages », a rappelé le révérend père Ricot Geffrard, directeur général de l’établissement.
L’Akademi kreyòl ayisyen (AKA), pour sa part, poursuit son travail malgré un manque de soutien institutionnel et la suspension de son site officiel (akademikreyol.net).
« Nou kontinye travay pou kreye zouti syantifik, òganize konkou chant ak revi lengwistik pou ranfòse lang lan », a déclaré Beaunel Beauzil, directeur scientifique de l’Académie.
Le créole : un pilier oublié de la réforme nationale
Alors que les discussions sur une éventuelle réforme éducative s’intensifient, le mutisme du MENFP sur la place du créole dans l’enseignement est perçu comme une incohérence majeure.
Le créole n’est pas seulement une langue ; c’est un miroir de l’histoire, de la mémoire et de la dignité collective.
L’ignorer, c’est continuer à nier à une majorité d’Haïtiens l’accès à la connaissance, à la citoyenneté et à la reconnaissance de soi.
Entre célébration populaire et indifférence politique
Cette journée du 28 octobre révèle une fois de plus le décalage entre les élites dirigeantes et le peuple, entre le discours modernisateur et la réalité culturelle.
Tandis que des écoles, des chercheurs, des artistes et la diaspora continuent de faire vivre la langue, l’État semble, lui, déconnecté de la profondeur symbolique de son propre patrimoine.
Viv lang ak kilti kreyòl — poto mitan idantite pèp ayisyen an.
La rédaction

