En Haïti, particulièrement dans la zone métropolitaine, des organisations féministes mettent en place des programmes de formation gratuits à destination des femmes et des filles issues des milieux populaires. Ces initiatives, qui prennent la forme d’ateliers, de séminaires ou de conférences, visent une autonomisation économique et sociale. Elles s’adressent notamment à des femmes déplacées par la violence armée, vivant dans des camps précaires. Mais à y regarder de plus près, ces programmes, bien qu’animés par de bonnes intentions, révèlent une limite majeure : ils reproduisent très souvent les normes genrées qu’ils prétendent combattre.
De ces programmes d’autonomie actionnée, nous pouvons compter au minimum une dizaine de bénéficiaires. Ces instances sociales, qui sont le plus souvent des organisations féministes, ne cachent jamais leur intention première : permettre aux femmes de s’émanciper, gagner de l’argent sans subir de jugements en fonction de leur sexe/genre. En dépit de cette noble entreprise, la démarche reste très limitée quand il s’agit de renverser des stéréotypes de genre ancrés dans la société.
Ces stéréotypes sexistes constituent des plafonds de verre qui empêchent les femmes d’accéder à certaines responsabilités. Cela traduit une tendance préoccupante : ces institutions, tout en affirmant œuvrer pour l’inclusion et l’égalité, enferment les femmes dans une série de choix professionnels déjà balisés, déjà acceptables aux yeux d’une société patriarcale.
Il est vrai que la démarche est remplie de bonnes intentions, de stratégies effectives mais pas efficaces pour faire avancer les droits des femmes haïtiennes minorées. Est-ce une autonomisation sans une réelle déconstruction ? Les femmes reçoivent gratuitement des formations pour aller travailler dans des studios de beauté en tant que coiffeuses, spécialistes en maquillage, ou pour faire de la pédicure et de la manucure. Jamais, ou plutôt rarement — si on veut laisser une marge de doute, comme nous l’a conseillé Descartes de toujours douter de tout — en dépannage informatique, en carrelage, en plomberie, en électricité bâtiment, en technique Windows ou même en auto-école.
Ce sont des terrains inexplorés par les femmes, et quasiment inexistants dans le répertoire de formations dédiées aux femmes et filles. La reproduction de ce scénario tout trouvé dans la société n’a pas été rejetée, même par ceux et celles qui militent pour l’égalité entre les sexes.
Le discours populaire laisse comprendre, à qui veut l’entendre, cette logique selon laquelle les femmes ne sont douées que pour ces genres de métiers-là. Ce qui laisse entrevoir une nette distinction entre les métiers d’hommes et les métiers de femmes. Une distinction qui existait déjà et qui existe encore bel et bien. Non pas sans support, comme ça l’a toujours été, sinon par la socialisation à l’école, à l’église, au foyer familial, et surtout dans les médias à l’heure actuelle.
Madeleine Sylvain-Boucherau, dans son ouvrage Haïti et ses femmes, démontre l’assignation du rôle de genre à la maison par l’éducation que les parents donnent à leurs filles. À noter que la famille, première institution sociale de base, joue un rôle prépondérant dans la préparation des jeunes, adolescents et enfants pour pouvoir vivre en société. De nos jours, cette distinction perdure encore par l’implication directe de ceux et celles qui s’inscrivent dans la lutte pour contrecarrer, voire casser, les stéréotypes de genre.
Autonomiser les femmes et les filles haïtiennes de la classe populaire, c’est bien. Inscrire cette autonomisation dans une démarche pour déconstruire les prérequis sur les métiers que chacun doit exercer suivant son sexe, c’est mieux. Quand les femmes pourront-elles se construire dans une société où elles pourront être nombreuses dans la technique Windows comme dans les studios de beauté comme coiffeuses, en acquérant des formations gratuites dans les organisations féministes ? La déconstruction ne doit pas être partielle. Elle doit toucher tous les aspects, aussi symboliques soient-ils. Par conséquent, il faut autonomiser les femmes en dehors des stéréotypes liés au travail suivant le sexe et le genre.
Yvelie Jemima SANON
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