La Cour de cassation, seul organe légitime pour assumer la Présidence provisoire de la République
Depuis plusieurs années, Haïti traverse une crise institutionnelle profonde, marquée par la désintégration progressive des mécanismes constitutionnels et l’effondrement des pouvoirs exécutif et législatif. Le dysfonctionnement prolongé du Parlement, l’absence d’un Président élu, la défaillance du Conseil électoral et l’insécurité généralisée ont plongé la République dans une situation de vacance politique totale. L’État n’est plus dirigé, dirait feu Dr. Monferrier Dorval.
Dans ce contexte, des initiatives politiques ont tenté de suppléer à la légitimité constitutionnelle en instituant un Collège présidentiel de neuf membres, issu d’un accord politique conclu sous l’égide de la CARICOM et des partis politiques. Ce collège, formé en dehors de tout fondement constitutionnel, devait selon ses promoteurs ramener la stabilité, organiser des élections et restaurer l’ordre républicain. Or, environ un an et demi après son installation, le constat est accablant :
- Aucune élection n’a été organisée ;
- Aucun référendum n’a été réalisé ;
- La sécurité nationale s’est gravement détériorée, les groupes armés ayant étendu leur emprise territoriale ;
- L’État de droit demeure paralysé, et la population, plongée dans le désespoir, ne sait plus à quel saint se vouer.
À l’approche de la date butoir du 7 février 2026, marquant la fin du mandat confié aux neuf conseillers, le pays reste sans perspective institutionnelle crédible. Il apparaît dès lors évident que la solution imposée par compromis politique et influences extérieures n’a fait qu’aggraver la crise de légitimité et éloigner la Nation haitienne de son cadre constitutionnel.
Le moment est venu d’entendre la raison et de retourner vers la Constitution de 1987, seule boussole de la souveraineté populaire haïtienne.
L’article 149 de la Constitution, dans sa version originale non amendée, prévoit explicitement qu’en cas de vacance de la Présidence, le Président de la Cour de cassation est appelé à exercer provisoirement la fonction de Chef de l’État, jusqu’à la tenue d’élections dans un délai de quarante-cinq (45) à quatre-vingt-dix (90) jours.
Ce mécanisme constitutionnel n’est pas une fiction théorique : l’histoire politique récente d’Haïti a démontré sa pertinence et son efficacité.
En 1990, à la suite du départ du Général Prosper Avril, le pays se trouvait sans dirigeant légitime et sans institutions politiques stables. Conformément à la Constitution, Me Ertha Pascal-Trouillot, alors juge à la Cour de cassation, fut appelée à assurer l’intérim présidentiel. Sous sa direction, le pays organisa des élections libres et transparentes, saluées tant par la majorité de la population haïtienne que par la communauté internationale comme un retour exemplaire à la légitimité démocratique.
En 2004, après la démission du Président Jean-Bertrand Aristide, le juge Boniface Alexandre, Président de la Cour de cassation, assuma provisoirement la fonction de Chef de l’État. Malgré les turbulences du moment, la transition institutionnelle s’opéra dans le respect de la Constitution, et des élections furent organisées dans un délai raisonnable, permettant de restaurer la légitimité du pouvoir exécutif.
Ces deux précédents démontrent que l’intérim présidentiel confié à la Cour de cassation est non seulement constitutionnel, mais historiquement éprouvé. À chaque fois que la République a été confrontée à un vide présidentiel, le recours à la magistrature suprême a permis de restaurer l’ordre républicain et de rétablir la confiance nationale.
L’article 59 de la Constitution de 1987, dans sa version dite amendée, rappelle que la souveraineté nationale appartient au peuple, lequel la délègue à trois pouvoirs: l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Aujourd’hui, le pouvoir judiciaire est le seul à conserver une existence effective et légale. Le pouvoir exécutif, fragmenté et dépourvu de base constitutionnelle, s’est dissous dans des arrangements politiques extérieurs à la loi fondamentale. Le pouvoir législatif, pour sa part, a cessé d’exister, faute d’élections régulières.
Ainsi, la Cour de cassation, sommet du pouvoir judiciaire et dépositaire de la légalité, demeure le dernier bastion de la continuité institutionnelle. En elle se concentre aujourd’hui la seule légitimité constitutionnelle subsistante, et c’est à ce titre qu’elle doit assumer la direction provisoire de l’État. Cette solution n’est ni politique ni partisane. Elle ne procède pas d’un compromis, mais d’une application rationnelle de la Constitution. Elle rétablit la neutralité de la transition, garantit le respect du droit et prépare un retour pacifique à l’ordre constitutionnel par les élections libres et démocratiques.
L’expérience des dernières années prouve que les arrangements politiques extraconstitutionnels, fussent-ils soutenus par des partenaires étrangers, ne peuvent remplacer la légitimité du droit. Le pays ne peut se reconstruire sur la base de compromis sans fondement juridique, mais seulement en renouant avec l’esprit et la lettre de la Constitution de 1987.
En ce sens, le transfert de la Présidence provisoire à la Cour de cassation ne constitue pas une option parmi d’autres, mais une exigence de légalité, de cohérence et de souveraineté nationale. C’est la voie qu’avaient empruntée les acteurs politiques, conformément à la Constitution en vigueur, en 1990 et en 2004, et qui avait permis d’assurer des transitions apaisées. Aujourd’hui encore, alors que le pays s’enlise dans un vide politique dangereux et une insécurité croissante, le salut de la République passe par la restauration de l’ordre constitutionnel à travers la Cour de cassation.
Il est temps que la raison et le droit reprennent le dessus sur les calculs politiques.
Il est temps de revenir à la source de la légitimité, celle du texte fondateur de 1987.
Et il est temps, enfin, que le pouvoir judiciaire, seul organe resté debout, assume provisoirement la Présidence de la République, pour conduire la Nation vers des élections libres, rétablir la paix et rendre à la souveraineté populaire son expression véritable.
Youvens PHANOR,Av

