Les Haïtiens partout dans le monde ne laissent jamais passer une occasion pour dire : « Nou se Ayisyen ». Avec le football ces jours-ci, les occasions sont nombreuses. À bien réfléchir, que ce soit une qualification avec les seniors ou la participation des moins de 17 ans à la Coupe du monde de football, ces occasions de fierté nationale devraient être un point de départ pour repenser le sport haïtien dans son ensemble. Mais au lieu d’un élan structuré, elles révèlent surtout les contradictions profondes d’un système où la passion supplante la planification, et où les millions s’envolent sans véritable impact.
Depuis plusieurs semaines, le secteur privé s’agite, dépensant des sommes considérables pour s’associer à cette aventure sportive. Des millions de gourdes investis, non pas pour bâtir des infrastructures, mais pour placer un logo, une bannière, un slogan. Est-ce vraiment cela, soutenir le sport ? Est-ce que la notoriété d’une marque vaut plus que le développement d’un centre d’entraînement ou la formation d’un entraîneur ?
Et l’État ? À travers la Primature, il s’empresse de se jeter à l’eau, mais pour quel rôle exact ?
Doit-il se contenter d’accompagner la vague médiatique ou devrait-il, au contraire, fixer le cap, définir les priorités, garantir la transparence ?
Où est la politique nationale du sport qui aurait pu encadrer et canaliser cette effervescence collective ?
Les chiffres, eux, parlent d’eux-mêmes : 100 millions de gourdes pour le seul football dans le prochain budget, pendant que chaque année plus de deux millions de dollars américains transitent dans les comptes de la Fédération haïtienne de football, bien entendu sans payer de taxes et sans réel contrôle de l’État haïtien.
Nous sommes passionnés de football, plus encore de sport, mais pour un même drapeau, le même pays et le même peuple.Comment justifier un tel déséquilibre dans un pays où la plupart des fédérations survivent sans moyens ?
Combien de clubs communautaires, d’écoles sportives ou de programmes de formation aurait-on pu financer avec ces ressources ?
Et surtout, qui contrôle l’utilisation de ces fonds ?
Le problème n’est pas le football ; c’est la concentration des moyens et l’absence de vision.
À quand un modèle qui valorise aussi l’athlétisme, le judo, le basket, le volley-ball ou le sport scolaire ?
Pourquoi ne pas penser le sport comme une industrie créatrice d’emplois, un levier pour la paix et la cohésion sociale ? Attention, pas cette paix où le sport est utilisé comme une cannette de boisson alcoolisée.
L’État haïtien doit comprendre que l’argent public n’est pas un outil de propagande, mais un instrument de justice sociale.
Les contributions nationales et internationales doivent servir à renforcer les communautés, à former des encadreurs, à bâtir des espaces sûrs pour les jeunes.
La vraie question, au fond, est simple : voulons-nous continuer à applaudir des victoires isolées ou commencer à construire un système sportif durable ?
Tant que les acteurs du sport, publics comme privés, resteront prisonniers du court terme et de la visibilité, Haïti ne transformera jamais ses exploits en politiques d’avenir.
Louissaint Jean

