Port-au-Prince, octobre 2025 — Pourquoi deux monnaies circulent-elles simultanément en Haïti ? Et quelles en sont les conséquences pour l’économie nationale ?
Dans un document d’information récemment publié, la Banque de la République d’Haïti (BRH) analyse en profondeur le phénomène de double circulation monétaire, autrement dit la dollarisation de l’économie haïtienne, et ses impacts sur la politique monétaire et la stabilité financière du pays.
« En Haïti, l’utilisation croissante du dollar américain coïncide avec l’abandon de la parité fixe de cinq (5) gourdes pour un (1) dollar après une période de dépréciation continue mais modérée de la gourde entre 1982 et 1991. Cette parité fixe, qui s’est maintenue de 1919 à 1990, a été remplacée par l’adoption d’un régime de change flexible en raison de certaines distorsions ayant conduit à des perturbations sur le marché des changes, notamment l’émergence d’un segment informel. Ainsi, dans le but de s’assurer d’un meilleur contrôle de ce marché, le gouvernement haïtien a autorisé, par décret, les banques commerciales à accepter des dépôts en dollars américains à partir du 18 janvier 1990. » lit-on dans le document de la BRH.
En effet, selon la Banque Central, la forte dollarisation d’Haïti trouve son origine dans plusieurs facteurs structurels :
l’instabilité sociopolitique chronique,
la hausse rapide et durable des prix,
la forte intégration commerciale au marché international,
et la dépendance aux transferts de fonds de la diaspora, souvent libellés en dollars américains.
Ces éléments ont conduit à une perte progressive de confiance dans la monnaie nationale, la gourde, au profit du dollar américain, perçu comme plus stable et plus sûr.
Le phénomène de double circulation monétaire limite fortement la capacité de la BRH à contrôler la masse monétaire, l’inflation et les taux d’intérêt. La dollarisation réduit les revenus de seigneuriage de la Banque centrale, complique le ciblage des agrégats monétaires, et accroît les risques pesant sur la stabilité financière.
C’est en ce sens que la BRH a adopté plusieurs mesures pour freiner cette dynamique :
la facturation des cartes de crédit en gourdes,
l’interdiction des prêts à la consommation en dollars américains,
et la promotion des obligations BRH en gourdes pour encourager les dépôts dans la monnaie nationale.
Le document évoque aussi les expériences réussies du Vietnam et du Pérou, deux pays ayant réussi à réduire leur dépendance au dollar américain.
Au Vietnam, la dédollarisation s’est appuyée sur une discipline budgétaire stricte et le soutien actif à la monnaie nationale. Résultat : l’inflation est restée maîtrisée, et la part des dépôts en devises est tombée de 28 % en 1989 à 21 % en 1995.
Au Pérou, les autorités ont privilégié le ciblage de l’inflation et la hausse des réserves obligatoires sur les passifs libellés en dollars, réduisant la proportion des prêts en devises de 80 % à la fin des années 1990 à moins de 45 % en 2012.
Pour la BRH, toute stratégie de dédollarisation en Haïti devra passer par :
une discipline fiscale et monétaire soutenue,
l’approfondissement des marchés financiers et la modernisation des systèmes de paiement,
et la restructuration des secteurs générateurs de devises (exportations, tourisme, transferts).
La Banque centrale insiste également sur les facteurs psychologiques, rappelant que la confiance dans la gourde dépend autant de la stabilité politique et sécuritaire que des décisions économiques.
La double circulation monétaire reste un défi majeur pour Haïti. La BRH appelle à une gestion rigoureuse des finances publiques et à des mesures durables de stabilité macroéconomique pour renforcer la valeur de la gourde et réduire la dépendance au dollar américain.
La rédaction

