Nous commémorons aujourd’hui le 221ème anniversaire de la bataille de Vertières et l’ironie de notre présent nous porte à nous questionner sur l’enfer que vivent les Haïtiens dans le pays et même au-delà des frontières.
Pour ne point perdre le nord, rions un peu de nous-mêmes : de nos frasques et de nos fresques dont les couleurs blafardes font cacophonie. Pour ma part, un rire démentiel a été bien trop longuement et durement retenu, au nom de la convenance.
Fatigués de revendiquer et de manifester, fatigués d’exprimer des frustrations et des colères capables de faire trembler le Mont Olympe, fatigués d’exiger de nos frêles jambes populaires le droit de vivre comme HUMAIN et PERSONNE à part entière, et finalement contraints de devenir sous le poids de toute cette fatigue une fourmi docile et laborieuse à qui on aurait fait avaler la pilule de la soumission.
La majorité abusée, fatiguée de faire entendre ses cris, se terre aujourd’hui dans le silence ; la minorité, la classe moyenne silencieuse comme toujours, subit le résultat de son désengagement ; parler d’élite, revient à évoquer une chimère.
Chers compatriotes, nous qui avons connu massacres, embargo, G.N.B. contre R.P.K., mission « connerisienne » (pardon, onusienne, dis-je), séisme du 12 janvier 2010, la marée rose…[ que dis-je…?] … la marée rouge des 10 dernières années, nous devons à tout prix rire de nos folles histoires de ces quarante dernières années. Quatre décennies d’égarement.
Faisons aujourd’hui le point pour aider à dégager les frustrations bien trop longtemps retenues prisonnières. Rions ensemble de ce tout, qui n’a l’air de rien…
Notre galéjade n’a même pas commencé que je sursaute littéralement, tel un enfant qui entend sonner la cloche pour la récréation ou un fêtard qui arrive au Champs-de-Mars, en plein défilé carnavalesque.
Notre réalité de peuple est si grotesque qu’on aurait dit de nous des héritiers d’un enfer pavé de bonnes intentions exécutées de façon médiocre. Elle est bien trop vraie pour être belle. On aurait dit que l’enfer a été vidé de ces démons qui préfèrent migrer dans nos vallons où le mal atteint son paroxysme…
Si vous ne comprenez toujours rien de ce que je raconte, venons-en au fait. Depuis plus d’un demi siècle nous essayons d’épuiser une cigarette allumée par les deux bouts. Pauvre que nous sommes, c’est malheureusement elle qui nous consume.
Après que la dynastie des DOC’S (Duvalier) nous ait refilé son opium, nous sommes foncés, têtes bercées, dans une sorte de “Démocratie “. Cela étant, les épisodes qui s’ensuivent sont d’une grotesquerie dont nul bouffon ingénieux n’aurait eu le génie de planifier : libéralisation de marché au détriment de la production nationale, des politiciens qui se font tantôt la passe à 10 pour le pouvoir tantôt une guerre sans merci au profit des mieux-nés de petits bourgeois, épiciers, sans oublier l’ingéniosité des Aigles moqueurs et maître chanteurs amis et alliés (rions de notre naïveté.)
La balade de ces gens et entités, heureux dans les malheurs de tout un peuple, nous a menés à adopter maintes et maintes tendances suicidaires : le bon vieux père Lebrun, puis une paix dans la tête et dans le ventre qui nous a ensuite vu peiner à la nage pour nous en sortir. ( rions de notre stupidité)
A ce peuple révolté et perdu, on a ensuite vendu 184 fois, un nouveau contrat social pour mieux le berner, comme la tortue à qui on fait croire que l’orgueil n’est pas une vertu. Il est malgré tout retourné à la nage au nom de l’espoir…
Comme pour nous punir en nous imposant les conséquences de notre inconséquence, la nature s’est alors rémunérée sous nos pieds. Et dès lors, nous nous sommes retrouvés à un carrefour de l’histoire où nous aurions pu changer la donne en reprenant les choses en mains. Sauf que nous avons confondu Aigle royal et Vautour. Nous avons laissé tomber notre froc comme des bandits devenus légaux après avoir dilapidé les ressources disponibles. À ces accusations, ils répondent : « Est-ce que ça dérange ? » (rions à tue-tête de notre résignation).
Les épisodes qui s’ensuivent me rappellent un peu Dalida qui nous chante : « encore des mots, toujours des mots, rien que des mots… paroles, paroles et paroles qu’ils sèment au vent ». Ils nous ont assuré que la graisse du porc allait cuire le porc. Ils nous ont fait croire que les barricades étaient notre avenir. Nous avons connu l’apogée de la bêtise humaine en ce sens que nous avons pratiqué la politique de la terre et de la tête brûlée. Ces pratiques nous ont conduit directement au règne de l’ombre et de la mort. Comment avons-nous pu contribuer à façonner un si grand et ingénieux bourbier, et atteindre un point de non retour ?
A l’heure où nous parlons, nous sommes tous devenus des bêtes de foire, à la file indienne. Chacun redoute et se débat pour repousser l’inéluctable: son tour pour être victime directe de la violence, ou encore, son tour pour être pointé du doigt pour avoir commis l’impair d’être Haïtien et migrant, deux crimes que les hypocrites condamnent avec véhémence… Tandis que le pigeon voyageur qui guidait nos pas vient de perdre la guerre contre la bête à neuf têtes. Nous nous dirigeons encore et encore vers l’incertain. Un enlissement continu est à redouter. (Rions cette fois-ci, juste avant de soupirer).
Qu’en est-il de demain ? Qu’en est-il des plus jeunes en qui nous devons investir pour assurer la relève ? Quelle relève est possible ? Rien ne semble prédire un mieux-être. Aucune véritable entreprise ne semble être prise pour freiner l’hémorragie. Ce qui nous porte à croire que le génocide du peuple haïtien se poursuivra et qu’il sera lui-même tenu responsable et paradoxalement victime.
En dépit du ciel nuageux et des orages qui font rages au-dessus de nos têtes, au plus profond de nous, nous savons que la nature devra freiner l’homme dans son délire et qu’un jour les Haïtiens auront à rire des démons qui ont prétendu pouvoir engendrer son malheur indéfiniment.
Nous attendons d’autres pages d’histoires. Rira bien qui rira le dernier…
Marc Arthur Paul