En 1987, la Constitution haïtienne proclamait la décentralisation comme l’un des fondements d’un État démocratique renouvelé.
Trente-huit ans plus tard, cette promesse s’est diluée.
On a voulu décentraliser le pouvoir, mais on n’a fait que déplacer ses relais.
On a parlé d’autonomie, mais maintenu la dépendance.
Dans sa lettre, la Constitution a institué les Délégués et Vice-Délégués (articles 85 et 86), censés représenter le Pouvoir exécutif dans les départements et les arrondissements. En pratique, ils sont les représentants du Président, c’est-à-dire du pouvoir central. Leur fonction réintroduit la figure du préfet, héritée du modèle centralisateur, qui permet au Chef de l’État de maintenir une présence directe sur tout le territoire.
Sous couvert de décentralisation, on a donc réinstallé le préfectorat, avec ses réflexes de surveillance et de loyauté verticale.
Les Délégués, représentants directs de l’exécutif, nommés et révocables à volonté, ne tirent leur autorité ni des citoyens ni des collectivités locales, mais du centre politique. Tant qu’ils existeront, la décentralisation restera un discours, non une pratique.
Ce choix institutionnel a produit un double dommage.
D’une part, il handicape les collectivités locales : privées de ressources, de compétences réelles et d’encadrement technique, elles peinent à exercer les responsabilités qu’on leur a promises. D’autre part, il affaiblit l’appareil administratif de l’État lui-même : les relais centraux se multiplient sans efficacité, absorbant les moyens au lieu de les redistribuer.
Résultat : un État hypertrophié au sommet et atrophié à la base.
Ainsi, le rôle de l’administration publique s’est progressivement dévoyé. Au lieu de servir l’intérêt général par le développement national, elle tend à satisfaire l’agenda personnel du Président, selon ses ambitions politiques ou ses alliances du moment.
L’État devient alors un instrument de pouvoir et non un outil de service. Ce glissement transforme la fonction publique en un système de loyautés, au détriment de la compétence, et installe la précarité là où devrait régner la neutralité républicaine.
Cette structure entretient une illusion : on parle de proximité, mais on pratique la tutelle. On promet la participation, mais on maintient la dépendance. La gouvernance reste unidirectionnelle : du centre vers les territoires, jamais l’inverse. La décentralisation véritable ne viendra pas d’un simple transfert administratif, mais d’une transformation du rapport entre l’État et les territoires.
Il faudra repenser la gouvernance locale, clarifier les compétences et instaurer une confiance durable entre le centre et la périphérie. C’est dans la capacité des communautés à décider pour elles-mêmes que se trouve la clé d’une République plus équitable et mieux enracinée.
Port-au-Prince, le 13 octobre 2025
Chantal Volcy Céant

