La décentralisation ne doit pas répéter les erreurs du passé.
À travers son avant-projet de Constitution, Haïti se propose une nouvelle fois de refonder l’État, de corriger ses dérives historiques, et d’ouvrir la voie à une gouvernance plus moderne, plus locale, plus proche du peuple. C’est un projet noble et nécessaire. Mais à vouloir tout refaire, il ne faut pas refaire les mêmes erreurs.
L’un des pièges les plus évidents de ce texte se trouve dans la multiplication excessive des assemblées locales : assemblées municipales, assemblées départementales, conseils interdépartementaux, assemblées communautaires urbaines… Toutes ces structures sont censées améliorer la démocratie de proximité. En réalité, elles pourraient devenir des coquilles vides, inutiles, coûteuses, et sources d’inefficacité administrative. Pourquoi ? Parce que ce modèle a déjà été tenté… et a échoué.
Retour sur une expérience manquée
La Constitution de 1987 prévoyait déjà l’existence d’assemblées municipales et départementales. Ces organes étaient censés exercer un pouvoir de contrôle, de planification et d’orientation au niveau local. Pourtant, en près de 40 ans, ces assemblées n’ont jamais véritablement vu le jour. Aucun gouvernement successif n’a pris le soin de les organiser ou de les rendre fonctionnelles. Et pour cause : le pays ne disposait pas des ressources financières, humaines ni institutionnelles pour les faire vivre.
Pourquoi alors vouloir à nouveau les réintroduire dans une version encore plus complexe et coûteuse, sans que rien n’ait changé dans les capacités de l’État à les faire fonctionner ?
La multiplication des assemblées locales pose trois problèmes majeurs :
Une lourdeur bureaucratique inadaptée : À un moment où Haïti peine à garantir l’essentiel — sécurité, justice, services publics de base — créer de nouvelles structures électives sans moyens de gestion revient à bâtir une architecture théorique, sans fondation. C’est confondre la forme avec la fonction. Une charge budgétaire insoutenable : Chaque assemblée implique des élections, des sessions régulières, des indemnités, des locaux, des secrétaires, des assistants, etc. Comment justifier une telle dépense publique locale quand la majorité des mairies n’ont même pas d’ordinateur ou de connexion internet fonctionnelle ? Un modèle de gouvernance contre-productif : Plus il y a d’assemblées, plus il y a de conflits de compétences, de rivalités partisanes, de lenteur décisionnelle. Le risque est d’installer un système où personne n’a vraiment le pouvoir d’agir, mais où chacun peut bloquer l’autre.
L’échec de la mise en place des assemblées prévues en 1987 n’est pas un accident. C’est un signal. Cela montre que la société haïtienne, dans son état institutionnel actuel, n’est pas prête pour une gouvernance multi-niveaux aussi lourde. Reprendre un tel schéma en 2025 sans l’avoir corrigé ou adapté revient à nier notre propre histoire récente. Refonder l’État, oui. Mais refonder intelligemment, à partir de nos réalités, de nos faiblesses, de nos moyens. Il est temps de choisir l’efficacité au lieu du symbolisme institutionnel.
Je propose un modèle plus sobre, plus réaliste et plus fonctionnel :
Supprimer l’Assemblée départementale Le gouverneur élu peut dialoguer directement avec les maires, sans avoir besoin d’un organe politique intermédiaire non opérationnel. Transformer l’Assemblée municipale en Conseil citoyen consultatif Un organe participatif, souple, sans élection formelle, mais représentatif de la société locale (jeunes, femmes, leaders communautaires, commerçants, etc.). Faire du Conseil interdépartemental un comité technique de coordination Réservé aux gouverneurs et aux techniciens de l’État pour harmoniser les projets départementaux.
Haïti n’a pas besoin d’un millefeuille institutionnel. Elle a besoin d’un État fonctionnel, capable de répondre aux besoins de ses citoyens. La gouvernance locale doit être claire, directe, sans lourdeur inutile.
Les ressources doivent aller vers les écoles, les hôpitaux, les routes, pas vers des institutions décoratives. Et surtout, nous devons cesser de faire semblant d’innover en répétant ce qui n’a jamais fonctionné. Le changement commence par une prise de conscience : la complexité n’est pas un gage de démocratie. La simplicité peut, elle, être une preuve de maturité.
ALEXIS BEBETO
Étudiant mémorant en Gestion des Collectivités Territoriales
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En tant qu’étudiant mémorant en Gestion des Collectivités Territoriales, je porte une attention particulière à la réforme constitutionnelle en cours, et notamment à la question cruciale de l’organisation territoriale. Mon article propose une analyse critique de la multiplication des assemblées locales dans l’avant-projet de Constitution 2025, tout en formulant des recommandations concrètes, inspirées à la fois de notre expérience institutionnelle passée et des défis actuels du pays.
Je serais honoré de pouvoir contribuer au débat public à travers la publication de ce texte dans votre média, dont le sérieux et l’impact dans la société haïtienne sont largement reconnus.
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