Port-au-Prince / Santiago, 30 décembre 2025 – Une décision administrative expéditive, une note explicative détaillée et, au cœur du dossier, le nom d’Emmanuel Vertilaire. La révocation soudaine du consul haïtien à Santiago relance une question fondamentale : où s’arrête l’autorité politique et où commence l’obligation de probité administrative ?
Par correspondance officielle datée du 22 décembre 2025, le ministère des Affaires étrangères et des Cultes (MAEC) a mis fin aux fonctions de Stephen Junior Cherenfant, Consul et Chef de poste a.i. au Consulat général d’Haïti à Santiago, en République dominicaine. La décision, signée par le ministre Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste et contresignée par le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, est effective dès réception, sans mention de faute formelle ni indication d’une procédure contradictoire préalable.
Une révocation sans motif explicite
La lettre ministérielle, d’un ton sobre et lapidaire, se limite à notifier la fin des fonctions du diplomate, sans exposer les raisons précises ayant conduit à cette décision. Pourtant, le même jour, Stephen Junior Cherenfant transmet au ministre une note explicative circonstanciée, dans laquelle il présente sa version des faits entourant une visite privée de la famille de Son Excellence Emmanuel Vertilaire à Santiago.
Les faits selon le consul révoqué
Selon cette note, le diplomate aurait été informé, le 15 décembre 2025, de l’arrivée imminente de l’épouse et des enfants de M. Emmanuel Vertilaire en République dominicaine. Il propose alors, dans un premier temps, de dépêcher le chauffeur du consulat à la frontière. Toutefois, à la demande expresse de M. Vertilaire, il se rend personnellement à Dajabón, malgré ses obligations liées à l’arrivée annoncée d’une délégation officielle du MAEC au consulat.
En raison d’un retard de vol et d’une arrivée tardive de la famille à la frontière, Stephen Cherenfant indique avoir facilité leur entrée pour des raisons de sécurité, assuré un hébergement provisoire à ses frais personnels, puis veillé à la régularisation complète des formalités migratoires le lendemain.
Le point de rupture
La situation bascule lorsque des demandes financières et logistiques supplémentaires sont formulées : réservation de quatre chambres dans un hôtel de catégorie Marriott, mise à disposition de fonds pour des activités à caractère personnel, notamment des séances de magasinage.
Des requêtes que le consul affirme avoir fermement refusées, invoquant l’absence de toute base légale ou budgétaire permettant de faire supporter à l’État haïtien les coûts d’une visite privée et touristique, fût-elle liée à un haut responsable.
Gouvernance publique ou insubordination déguisée ?
Dans sa note, Stephen Junior Cherenfant insiste sur un point central : son refus ne procédait ni d’un manque de considération, ni d’un acte d’insubordination, mais d’un strict respect des règles de gestion des fonds publics, des principes de transparence administrative et de bonne gouvernance. Il affirme avoir agi « de bonne foi, avec diligence et dans l’intérêt supérieur de l’État haïtien ».
Quelques heures plus tard, pourtant, la sanction administrative tombe.
Une décision qui interroge
Cette affaire soulève de lourdes interrogations sur le fonctionnement réel de l’administration diplomatique haïtienne :
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Peut-on révoquer un chef de poste sans motivation écrite claire ?
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Le refus d’engager des fonds publics hors cadre légal constitue-t-il une faute ?
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Le respect des règles budgétaires est-il assimilé à un acte de désobéissance politique ?
Dans un contexte national marqué par des discours officiels répétés sur la lutte contre la corruption, la rationalisation des dépenses publiques et la moralisation de la vie publique, le signal envoyé par cette révocation apparaît pour le moins contradictoire.
Un signal inquiétant pour l’État
Au-delà du cas Cherenfant, cette affaire met en lumière un problème structurel ancien. De nombreux témoignages concordants évoquent l’existence de pratiques informelles persistantes au sein des consulats et ambassades d’Haïti, où certains chefs de mission seraient régulièrement contraints de partager ou de reverser une partie des recettes consulaires, notamment celles issues des passeports, au profit de centres de pouvoir politique.
Par ailleurs, les missions diplomatiques se retrouvent fréquemment à absorber des factures exorbitantes laissées par des délégations officielles, sans mécanisme clair de remboursement ni cadre budgétaire transparent.
Aux yeux du citoyen lambda, cette révocation renvoie l’image d’un Premier ministre en quête de soutiens, acceptant de contresigner une décision controversée, et d’un ministre des Affaires étrangères incapable de protéger les fonctionnaires placés sous sa tutelle. Une sanction qui laisse un goût amer et jette une ombre durable sur la gestion de la diplomatie haïtienne à tous les niveaux.
Si la diplomatie apparaît comme la chasse gardée de la Présidence, la Primature et le Gouvernement n’en demeurent pas moins responsables sur le plan administratif.
Dans un État déjà fragilisé, punir la rigueur administrative plutôt que l’arbitraire est un luxe qu’Haïti ne peut plus se permettre.
La rédaction
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