Constituer pour Gouverner ou pour Libérer ?
Depuis quelques temps, l’idée de rédiger une nouvelle Constitution pour Haiti agite les discussions. Derrière les discours sur le renouveau et la modernisation, une question essentielle reste éclipsée : pourquoi changer de constitution quand le problème est le non-respect de ses principes ?
Une vieille manœuvre sous un nouveau costume.
En Haiti, les réformes constitutionnelles ont toujours été des instruments de prise ou de maintien du pouvoir. Depuis la présidence d’Alexandre Pétion jusqu’aux détenteurs des derniers gouvernements, chaque tournant constitutionnel fut surtout motivé par un objectif politique : écarter des rivaux, consolider un régime, contourner les contre-pouvoirs ou simplement sortir d’un corset, démocratiquement institué, pour donner libre cours aux élans despotiques.
La Constitution de 1987 est née dans un moment historique : la chute de la dictature et l’espoir d’un État de droit. Elle fut le fruit d’un compromis entre les forces sociales, politiques et populaires du pays. Mais très tôt, des tentatives d’affaiblissement ont émergé. À peine deux ans plus tard, en 1989, un projet d’amendement était-il déjà sur la table. Le prétexte ? Clarifier certaines dispositions. Le résultat visé ? Reprendre le contrôle de l’exécutif.
Sous les présidents Aristide, Préval, Martelly, Jovenel Moïse, la Constitution a été tour à tour ignorée, contournée, ou réformée pour consolider le pouvoir. L’amendement falsifié de 2011, publié avec retard et dans la confusion, en est un exemple. Le projet de révision constitutionnelle lancé en 2020, sans processus participatif, en est un autre. Ce que l’on présente aujourd’hui comme une solution est en réalité une continuité : un outil de gouvernance politique sectaire, plus qu’un acte de refondation.
Ce que réformer devrait signifier.
Le débat sur la Constitution reste souvent concentré sur des postes : faut-il un Premier ministre ? Quel type de régime adopter ? Quelle durée de mandat ? Pourtant, le cœur d’une constitution, c’est autre chose : ce sont les valeurs collectives, les droits fondamentaux, et les mécanismes de contrôle du pouvoir. Le parti Renmen Ayiti l’a bien compris et en a démontré la supercherie.
Au lieu de penser la Constitution comme un manuel de gouvernance pour les dirigeants, pourquoi ne pas y voir un pacte de gouvernabilité raisonnable entre citoyens ? Que fait-on du droit à l’éducation gratuite ? De l’obligation d’équilibre territorial ? Du droit à la vérité, à la justice, à la sécurité ?
Il est temps de recentrer le débat sur la matière constitutionnelle elle-même : ce qui touche à l’essence de la nation, à la structure de l’État, à la dignité de la personne humaine.
La vraie urgence : appliquer, pas effacer.
Ce n’est pas une nouvelle constitution qu’il nous faut. C’est une volonté politique et citoyenne de faire vivre celle que nous avons. La décentralisation attendue depuis 1987 n’a jamais été mise en œuvre. L’autonomie de la justice reste un mythe. Les garanties sociales sont restées sur le papier.
Remplacer un texte que l’on n’a jamais appliqué revient à changer de boussole sans jamais avoir suivi la direction. La vraie urgence est donc de réconcilier les institutions avec les principes. De faire de la Constitution un instrument de justice et non un accessoire de pouvoir.
Une Constitution ne se change pas comme une chemise.
Ceux qui prétendent vouloir, de gré ou de force, une nouvelle Constitution oublient que l’on ne fonde pas une nation par un simple changement de document. On la fonde par l’engagement, la vérité, le respect de la parole donnée. La Constitution de 1987 mérite mieux qu’une mise à l’écart. Elle mérite une mise en action même si certaines dispositions doivent être réajustées ou réadaptées.
Changer de Constitution, aujourd’hui, sans boussole ni consensus, ce serait surtout ouvrir la voie à un nouvel abus de pouvoir. Ce n’est pas le texte qu’il faut juger. C’est notre capacité à en respecter l’esprit. Alors, il est temps d’engager un débat public sur la matière constitutionnelle elle-même.
Haiti n’a pas besoin d’un texte flambant neuf. Elle a besoin d’un pacte respecté. D’une Constitution appliquée, connue, comprise et défendue. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est réconcilier l’action politique avec les principes constitutionnels.
Le 18 juin 2025.
Chantal Volcy Céant