Depuis quelque temps, dirigeants et responsables politiques haïtiens se livrent à une surenchère de déclarations populistes, souvent à l’emporte-pièce, oubliant que chaque mot prononcé par un dirigeant peut engendrer des conséquences dramatiques sur l’avenir d’un peuple. Manque de retenue verbale, impudence, imprudence stratégique et légèreté institutionnelle ont contribué à creuser l’isolement diplomatique d’Haïti. Aujourd’hui, les conséquences sont là, brutales et irréversibles : le 4 juin 2025, le président américain Donald Trump a officiellement inscrit Haïti sur la liste noire des pays interdits d’entrée sur le territoire américain.
Les activités économiques, sociales et géopolitiques d’un pays ne sont pas uniquement déterminées par ses actions, elles le sont aussi par le discours de ses dirigeants. Ministres, Premiers ministres, conseillers présidentiels, partis politiques, société civile… Tous influencent la perception qu’a le monde d’Haïti. Chaque mot prononcé, chaque démarche engagée, façonne l’image d’un pays et peut, à terme, condamner toute une génération à l’isolement, au rejet, à l’exclusion.
Un virage funeste et prévisible
Si la politique migratoire du président américain Donald Trump est critiquable, il serait malhonnête de ne pas reconnaître notre propre part de responsabilité dans l’image désastreuse que nous avons construite de notre pays. Nos dirigeants, nos ministres, nos politiciens, nos conseillers présidentiels ont leur part de responsabilité dans ce bannissement. Ils ont, par leurs discours irréfléchis, leurs propos démesurés, semé les graines d’une méfiance internationale croissante à l’égard d’Haïti.
Par des actions irresponsables, des lettres officielles envoyées aux Américains pour classer des groupes armés comme organisations terroristes, et des accusations non vérifiées de « trafic d’organes », des leaders haïtiens ont servi eux-mêmes les justificatifs inutiles mais attendus par ceux qui souhaitaient bannir Haïti. Des parlementaires américains ont dénoncé les conséquences désastreuses de la décision de Donald Trump classifiant des groupes armés comme terroristes ; quand bien même ces derniers méritent d’être punis et châtiés.
Des mots lourds de conséquences
Nous avons, à « Le Quotidien 509 », maintes fois alerté sur le danger d’utiliser certains termes. Mais, en période préélectorale, certains responsables, aveuglés par leur quête de popularité, ont préféré le sensationnalisme à la diplomatie. Ils ont semé la peur, le doute, et la stigmatisation — Le pays récolte aujourd’hui l’isolement diplomatique, ce que nous avions annoncé dans différentes publications.
Lorsque des personnalités comme André Michel, Claude Joseph, ou encore les 9 membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) appuient des mesures déclarant qu’il existe des organisations terroristes en Haïti, ils deviennent complices d’une politique qui pénalise l’ensemble du peuple haïtien. Leur silence ou leur adhésion publique à certains discours est sans équivoque.
Aujourd’hui, il faut avoir le courage de dire : oui, Trump a été cohérent avec lui-même. Il avait annoncé les couleurs depuis sa campagne. Ce n’est pas une surprise. Il avait déjà traité Haïti de “shithole country” et a toujours montré son hostilité envers les migrants haïtiens. Ce qui est tragique, c’est que nos propres dirigeants ont alimenté son discours en le validant par leur inconséquence.
Aujourd’hui, ils doivent être une fois de plus prêts à « remercier » Trump. Ce sont eux qui ont ouvert la voie à cette catastrophe diplomatique.
Une diplomatie sabotée de l’intérieur
Depuis 2020, les scandales diplomatiques s’enchaînent, aggravés en juin 2021 par la saisie, par les douanes américaines, de 400 demandes de passeports haïtiens en provenance du Chili et de 50 000 dollars en espèces. Des passeports diplomatiques auraient été aussi négociés et vendus à prix forts à des inconnus liés à des chefs de gangs et livrés à d’autres ressortissants listés par les Américains. La République dominicaine a déclaré certains anciens ministres du pays « non grata », après avoir découvert, dit-on selon les services d’intelligence, un vaste réseau de vente de documents diplomatiques et de visas d’étudiants à des individus douteux d’après certaines sources en République dominicaine.
Que dire d’une Chancellerie qui a contribué à ternir l’image du pays en qualifiant la diplomatie haïtienne de repaire de corrompus, de trafiquants d’armes, de drogue et d’organes.
Ces propos — répétés sur des chaînes de télévisions étrangères et des médias locaux par des Conseillers-présidents comme Leslie Voltaire — ont été repris sans nuance par des fossoyeurs de patrie, consacrant Haïti comme un État déliquescent, peuplé de criminels notoires et gouverné par des corrompus.
Fritz Alphonse Jean, aujourd’hui coordonnateur du Conseil présidentiel, persiste dans le même ton, évoquant sans preuves des circuits de trafic, ciblant même certaines fois le secteur privé et des personnalités politiques qu’il n’a pas le courage de citer. Et la Justice haïtienne garde le silence, indifférente à ces déclarations gravissimes d’hommes d’Etat et dirigeants en exercice.
Trump ne fait que tirer les conclusions d’un chaos exposé par les Haïtiens eux-mêmes, quand bien même les rapports des organismes des Nations Unies dénoncent les Etats-Unis et la République Dominicaine dans le circuit d’acheminement des armes en Haïti.
Une décision annoncée : Haïti sur la liste noire
Dans son décret, Trump évoque un taux de dépassement de visas B1/B2 de 31,38 %, et de 25,05 % pour les visas étudiants (F, M, J). Il dénonce aussi l’arrivée massive de migrants haïtiens irréguliers et l’absence d’une autorité centrale fiable pour partager des données de sécurité. « Comme chacun le sait, Haïti ne dispose pas d’une autorité centrale apte à fournir des informations de sécurité fiables », a déclaré le président américain.
En clair : Haïti est perçu comme un État failli, par la faute de ses propres responsables.
Ces dernières années, les autorités haïtiennes n’ont capturé aucun chef de gang. Au contraire, elles ont souvent négocié avec eux. La police, démoralisée, infiltrée, est devenue un maillon faible. L’administration américaine a perdu toute confiance dans la PNH. Pourquoi pensez-vous que les Américains auraient-ils autorisé un contrat avec Erik Prince, l’ancien patron de Blackwater ?
Une situation prévisible et évitable
Lorsque des ministres déclarent que la diplomatie est remplie de trafiquants d’organes, ou quand des Conseillers présidents multiplient les graves accusations sans preuves, on ne peut s’étonner que le reste du monde prenne ces mots au pied de la lettre. Le mal est fait. Et il est profond.
Il faut désormais dire merci aux parties prenantes de l’Accord du 3 Avril 2024 et de la Déclaration de la CARICOM du 11 mars 2024, qui ont cautionné la mise en place d’un Conseil présidentiel à neuf têtes — une aberration institutionnelle —, préférant les arrangements de coulisse à une solution conforme à la Constitution du pays. Un grand Merci au Collectif 30 Janvier, EDE/RED/Compromis Historique, Accord du 21 Décembre, Accord de Montana, Groupe Interfoi REN, Secteur des Affaires, Fanmi Lavalas, Pitit Desalin, et Société Civile qui ont consacré l’échec du leadership haïtien.
Il faut le dire clairement. Nous ne méritons pas ce que nous vivons, mais nous avons créé les conditions de notre propre bannissement. L’État n’existe plus. Le silence complice de nos élites, l’inaction de nos institutions et la lâcheté collective face aux véritables responsabilités nous mènent droit au naufrage total.
Le Conseil présidentiel de transition, composé de neuf membres — neuf présidents sans vision commune ni perspectives nationalistes nommés par compromis et allégeance — est la quintessence de cette dérive. Comment parler de stabilité quand les plus hautes autorités du pays, dans leurs propres déclarations, décrivent Haïti comme un pays de trafiquants et de corrompus ? Qui respectera encore une telle nation ?
Trop, c’est trop. Relevons la tête en disant NON à la banalisation de la fonction publique. Cessons les verbiages et la parole politique sans filtre, sans stratégie, sans responsabilité. Un pays ne se gouverne pas à coups de tweets populistes ou de déclarations sur des plateaux étrangers. Il se gouverne avec dignité, prudence, diplomatie et respect pour l’image qu’on doit donner de son peuple.
Aujourd’hui, il ne faut pas seulement dénoncer Trump. Il faut exiger des comptes à nos dirigeants actuels, à ceux qui ont traîné notre diplomatie dans le mur. À ceux qui ont parlé trop et mal pour dénigrer leur propre pays.
Le Quotidien 509 poursuivra son combat pour une parole libre, critique et responsable. Même si cela déplaît.
La rédaction