L’histoire retiendra peut-être qu’en avril 2025, Haïti, par un geste fort, a voulu reprendre le fil interrompu de sa dignité volée. Le Comité National Haïtien de Restitution et Réparation (CNHRR) a été officiellement créé par arrêté présidentiel, avec pour mission de documenter, de mobiliser, de représenter et de revendiquer les réparations historiques dues à Haïti pour l’esclavage, la colonisation et, surtout, pour cette infamante « rançon de l’indépendance » imposée par la France.
Mais cette histoire, hélas, ne saurait être contée sans ses incohérences majeures.
La publication de l’arrêté dans Le Moniteur -Spécial #26 – en date du 17 avril, contient une autre annonce qui trouble l’eau : Fritz Alphonse Jean, président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), signe — seul — une commission mixte franco-haïtienne sur la dette nommant la fille de l’historien Roger Gaillard, la professeure Gusti-Klara Gaillard Pourchet qui vit depuis plusieurs années à Paris en France, membre de la Commission Mixte Franco-Haïtienne sur la dette.
Une commission, sans cadre juridique public, sans texte constitutif, sans consultation du CNHRR ni débat national.
Et c’est bien dans ce même numéro du Moniteur, publié le 17 avril 2025, que figurent à la fois l’arrêté officiel créant le CNHRR (daté le 14 avril) signé de Fritz Jean pour le CPT et du Gouvernement Fils-Aimé. Et, suit la nomination individuelle du 15 avril, signée cette fois, par Fritz Jean uniquement, nommant ladite dame membre de la Commission Mixte qui n’est rattachée à aucun texte de loi ni cadre juridique haïtien.
Le président français Emmanuel Macron évoque cette commission dans sa déclaration solennelle du 17 Avril publiée exclusivement sur le site de l’Élysée, mais non relayée sur son compte X officiel ni sur celui de l’Élysée. Un oubli étonnant — voire révélateur — alors même que les autres activités présidentielles de cette même journée, telles que sa rencontre avec le sénateur Marco Rubio et le représentant britannique Jonathan Powell, ont été dûment relayées sur les réseaux sociaux.
Le 17 avril, une cérémonie officielle s’est tenue à la Villa d’Accueil pour marquer la reconnaissance du CNHRR. Le drapeau de la CARICOM flottait fièrement. Pourtant, aucun pays membre de la CARICOM n’était représenté. Aucun représentant de la communauté internationale non plus. Et du côté haïtien, aucun des 21 membres pressentis du CNHRR n’a été présenté publiquement. Même la dame nommée à la commission parallèle, Mme Gaillard Pouchet, était absente. Qui va assurer concrètement le suivi de la réparation ?
Les discours prononcés, notamment ceux de Fritz Jean et Leslie Voltaire, furent marqués d’un ton convenu, sans relief, sans vision. Le visage fermé des conseillers présidentiels présents laissait transparaître un malaise profond. Ce qui aurait dû être un moment de réconciliation historique avec notre dignité a viré au simulacre protocolaire.
Le rectorat de l’Université d’État d’Haïti, désigné depuis août 2024 comme représentant officiel d’Haïti à la Commission des Réparations de la CARICOM, se retrouve dans une position embarrassante. Le CNHRR, dont il est l’émanation directe, voit son rôle balayé par une nomination unilatérale et hors-cadre. Le rectorat n’est pas même pas membre du Comité de 21 membres du CNHRR.
Dans une note conjointe datée du 17 avril, le CNHRR et l’UEH ont rappelé que la France a reconnu l’esclavage comme crime contre l’humanité, sans jamais accepter d’en réparer les conséquences, et que seule une commission binationale pluridisciplinaire, adossée aux luttes caribéennes et à la volonté nationale, pourrait poser les bases d’une véritable justice réparatrice.
Un comité pour rassurer le peuple, une commission parallèle pour ménager Paris ont donc été créées.
Nous ne méritons pas seulement des réparations. Nous méritons un processus digne, structuré, et assumé devant le peuple.
Faute de quoi, la restitution deviendra… une nouvelle dette, cette fois envers la vérité.