Port-au-Prince, 2 novembre — En Haïti, le 2 novembre n’est pas une simple commémoration liturgique. C’est un jour où la frontière entre le visible et l’invisible s’efface, où les cimetières deviennent lieux de fête, de prière, de poésie et de mémoire. C’est la Fête des Morts, mais aussi celle de la vie qui persiste malgré tout.
Sous les croix blanchies à la chaux, entre les bougies vacillantes et les bouteilles de clairin posées sur les tombes, le peuple haïtien perpétue un rituel ancestral où le vodou et le catholicisme s’entrelacent. On prie pour les défunts, on danse parfois pour eux, et l’on s’adresse aux esprits comme à des parents en voyage.
« Les morts ne sont pas morts », écrivait Birago Diop, mais cette phrase trouve une résonance particulière en Haïti, où chaque tombe devient un foyer, un autel, un lieu de transmission.
Un jour de communion, pas de peur
Dans les cimetières de province comme dans les montagnes, les familles se rassemblent dès l’aube. Les femmes lavent les tombes, les enfants déposent des fleurs de bougainvillées, les hommes versent quelques gouttes de rhum au sol.
Les chants vodou, rythmés par les tambours, s’élèvent parfois à côté des cantiques catholiques. C’est une harmonie spirituelle, un langage partagé entre deux mondes.
L’écrivain Jacques Roumain, dans Gouverneurs de la rosée, avait saisi cette tension entre la vie et la mort, ce lien indestructible entre l’homme et sa terre :
« La mort n’est pas un gouffre noir, mais un passage vers la rosée. »
Et c’est bien cela que les Haïtiens célèbrent le 2 novembre : la continuité, la mémoire qui irrigue le présent.
Le cimetière comme miroir de la nation
Traditionnellement, le Grand Cimetière de Port-au-Prince est le cœur battant de cette journée. Mais cette année encore, la peur remplace la ferveur : le site se trouve aujourd’hui au cœur d’une zone contrôlée par des gangs armés.
Beaucoup de familles n’osent plus s’y rendre. Les tombes des ancêtres, laissées sans entretien, deviennent les témoins muets d’un pays où même la mort doit composer avec la violence.
Dans la capitale, les morts reposent désormais sous la loi des vivants armés.
Dans le Sud, un autre drame s’ajoute : le cimetière de Chardonnière, déjà fragilisé par les intempéries, a été partiellement emporté par les eaux déchaînées de l’ouragan Mélissa en octobre dernier. Des sépultures ont disparu, emportant avec elles une part de la mémoire locale.
Ainsi, en cette Fête des Morts 2025, les cimetières d’Haïti racontent aussi la vulnérabilité du pays, entre insécurité humaine et catastrophe naturelle.
L’écrivain Frankétienne, dans Dézafi, évoque ce rapport unique à la mort :
« Chez nous, la mort est bavarde. Elle parle créole, elle chante, elle rit, elle danse dans la poussière. »
Cette vision libératrice, presque carnavalesque, fait du 2 novembre un jour de dialogue : dialogue avec les ancêtres, dialogue entre croyances, dialogue entre la douleur et la célébration.
Mémoire et résistance
La fête des morts en Haïti, c’est aussi un acte de résistance.
Résistance à l’oubli, à la déshumanisation, à la misère qui voudrait effacer les traces du passé.
Les Haïtiens viennent se recueillir sur les tombes, non pas seulement pour pleurer, mais pour réaffirmer leur appartenance à une chaîne de vie, à une histoire collective.
Marie Vieux-Chauvet, dans Amour, colère et folie, écrivait :
« Nous portons nos morts comme des cicatrices, visibles ou invisibles, mais toujours brûlantes. »
En ce 2 novembre, chaque prière est une conversation avec l’histoire — une manière de dire : nous sommes encore là, malgré tout.
Un patrimoine spirituel et poétique
La littérature haïtienne a souvent puisé son souffle dans cette journée symbolique.
Des poètes comme René Depestre ou Georges Castera ont chanté les morts non pas comme des absents, mais comme des présences tutélaires.
La Fête des Morts est à la fois un moment de recueillement et de création, une célébration où la parole devient offrande.
La mémoire comme flambeau
Le 2 novembre, Haïti s’arrête un instant pour écouter ce que disent les morts. Dans la ferveur des chants, dans la lumière tremblante des bougies, le pays se souvient. Et ce souvenir, loin d’être funèbre, devient espérance.
Car, comme l’écrivait Jean Price-Mars,
« Les morts ne meurent point tant que les vivants continuent de les évoquer. »
Mais aujourd’hui, entre les tombes profanées par la pluie et les quartiers interdits par les armes, le message semble plus urgent que jamais : préserver la mémoire, c’est aussi défendre la vie.
Lyly Sory Ades
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